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a justement le droit de reprocher aux ministres qui ont conduit les affaires du pays au point où elles sont, c’est de n’être ni des libéraux, ni des hommes de gouvernement, ni même des républicains éclairés, fidèles à l’esprit de la constitution, de s’être engagés dans une aventure par passion de parti, de s’être avancés sans savoir où ils allaient et de n’avoir plus osé s’arrêter. Ce qu’on a le droit de remarquer, c’est que depuis quelque temps, par inexpérience ou par emportement, on semble tout fausser et tout altérer, les traditions libérales aussi bien que les plus simples notions de gouvernement, aussi bien que les conditions les plus essentielles du régime parlementaire. Qu’on voie ce qui se passe depuis six mois. Un ministère existe ; il a été heureux ou malheureux dans ses actes, dans ses combinaisons, peu importe, il est sorti à peu près affermi d’une session laborieuse. Une crise éclate tout à coup en l’absence du parlement. Qui disparaît ? C’est le président du conseil, c’est justement celui qui est censé représenter la politique générale du cabinet, celui qui a reçu les votes de confiance des chambres. Le ressort du régime parlementaire est évidemment faussé sous une influence invisible. On ouvre une guerre d’opinion, de croyance, sous un drapeau de libéralisme et on commence par porter atteinte au droit commun, aux garanties libérales placées jusqu’ici sous la protection de la justice indépendante ; on s’arme de la raison d’état, qui menace toutes les libertés. On veut, dit-on, maintenir l’autorité, l’honneur du gouvernement, et ce qu’on place sous ce nom de gouvernement, c’est l’arbitraire administratif déployé dans tout son luxe. On se flatte de glorifier, de servir la république, et c’est assurément la république qui est la première compromise par un système dont la conséquence est de la rapetisser aux proportions d’un parti, de l’identifier avec les passions, les préventions et les violences de secte. On est parti de cette idée simple, juste et acceptée, que, pour le bien et le repos de la France, il y avait à faire une république libérale, régulière, protectrice ; on arrive à une république exclusive, agitatrice et querelleuse, qui, telle qu’on la pratique, ne donne au pays ni la liberté régulière et paisible, ni un gouvernement protecteur.

Voilà la vérité ! on s’est exposé à tout compromettre en confondant tout, et de cette confusion que la politique ministérielle a certainement contribué à développer, il est résulté une situation dont le premier signe est l’affaiblissement de toutes les garanties, où toutes les discordances, les diffamations et les excès de polémiques se produisent contre le gouvernement lui-même, contre les institutions et les hommes. Le mal est évident ; il n’a rien d’irrémédiable sans doute tant que le pays, par sa tempérance, reste un contre-poids, un point d’appui pour redresser une politique égarée. Rien n’est perdu parce qu’il y a une de ces crises comme il y en a dans tous les temps et sous tous les