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régimes ; mais c’est à coup sûr le moment où tous les esprits modérés, tous les républicains éclairés doivent réunir leurs efforts pour replacer la république dans des conditions où elle puisse vivre avec sûreté pour elle-même, avec profit pour le pays.

Quelle sera maintenant l’attitude du ministère dans la session qui va s’ouvrir et quel accueil recevra-t-il dans le parlement ? Il n’est point impossible qu’il ne réussisse d’abord à se créer une certaine majorité à la faveur des satisfactions qu’il a données d’avance à la fraction la plus impatiente de la chambre. Il est cependant douteux qu’il puisse désarmer ou satisfaire jusqu’au bout des amis qui ressemblent étrangement a des ennemis. Les discours qu’ont récemment prononcés en province M. Clemenceau, M, Floquet, sont pour lui des signes assez inquiétans. Sa situation sera d’autant plus difficile qu’il va se trouver en face d’une chambre des députés préoccupée de sa fin prochaine, ayant à décider à quel moment elle se dissoudra, quel programme de lois elle réalisera avant de disparaître. A vrai dire, la question de l’heure de la dissolution n’est pas bien sérieuse ; elle est résolue en termes précis par la constitution elle-même, qui fige une durée de quatre années pour chaque législature. Ce n’est que par une subtilité qu’on peut discuter pour savoir s’il s’agit de quatre années réelles, — ce qui conduirait la chambre d’aujourd’hui au 14 octobre 1881, — ou de quatre budgets, ce qui impliquerait une dissolution plus prochaine. Il n’y a doute que là où le texte est incertain, et ici il ne l’est pas. Il fixe quatre années. Quant aux lois que la chambre aura à voter avant de disparaître, elle en a trop pour qu’il n’en reste pas beaucoup en chemin, et le meilleur service qu’elle pourrait rendre au pays serait de trouver en elle-même, si c’est possible, les élémens d’une majorité décidée à soutenir une politique de modération et de paix intérieure.

Le monde est prompt à s’alarmer, et il est peut-être aussi un peu prompt à s’apaiser, comme si un simple incident devait suffire pour tout aggraver ou pour tout simplifier, comme si la vie et les relations des peuples n’étaient pas une succession d’épreuves auxquelles les gouvernemens doivent s’accoutumer. Toujours est-il que l’Europe, après avoir été un moment inquiétée par les affaires d’Orient, éprouve depuis une semaine ou deux un certain soulagement. Elle n’est plus du moins exposée à toutes les chances de cette démonstration navale, qui n’était, il faut l’avouer, qu’une expression peu décisive de l’intime accord des puissances et qui, pour un résultat douteux, pouvait conduire à des complications inutiles. Cette démonstration, passablement contrariée, elle aura eu son influence si l’on veut, si l’on tient à garder cette satisfaction. Dans tous les cas, les Turcs, mieux inspirés ou mieux conseillés, se sont décidés à épargner aux navires européens une plus longue station sur les côtes d’Albanie. Ils ont eu l’air de résister, puis ils se sont