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pouvaient arriver à se mettre d’accord pour s’abstenir, jamais pour agir.


Lanfrey sait un gré infini à M. Thiers :


D’avoir su, dès le premier coup d’œil et par une véritable intuition du génie, marquer le terrain sur lequel l’accord pouvait se faire et unir dans une œuvre commune tant de volontés contradictoires. Avec quel art consommé, quelle profonde sagesse n’a-t-il pas manié, assoupli ces élémens réfractaires, ménagé ces esprits ulcérés et ces cœurs endoloris, tiré même parti de nos infirmités, et réalisé ce miracle d’équilibre dont les partis profitent sans lui en être reconnaissans… Mais on ne saurait compter sur un miracle continu… La trêve jurée à Bordeaux n’a pas toujours été observée. Le pacte a besoin d’être renouvelé et le programme d’être étendu. Il faut qu’un élément nouveau apporte, au nom du pays, au pouvoir législatif la force et la décision qui lui manquent, et raffermisse contre l’impatience des partis l’autorité du médiateur qu’ils avaient d’abord choisi ; cet élément sauveur, les élections prochaines peuvent le fournir si elles envoient à la chambre des hommes capables de former une sage majorité, je veux dire une majorité résolue à maintenir la république libérale… Hors de là, nous n’avons devant nous qu’une longue perspective de déchiremens et de révolutions… La France est gouvernée par un homme fait pour rassurer les amis de l’ordre comme les amis de la liberté, par un homme dont j’ai combattu et au besoin combattrais encore certaines doctrines, mais dont on ne peut qu’admirer l’étonnante activité, l’invariable patriotisme, et dont je salue avec respect la seconde jeunesse retrouvée au service du pays.


Ce programme avec ses commentaires, non plus que le langage tenu publiquement sur son. compte par Lanfrey, n’étaient point pour déplaire à M. Thiers. Déjà la connaissance s’était faite tout naturellement dans les couloirs de l’assemblée, je crois par l’intermédiaire de M. Ernest Picard, entre le président de la république et son ancien critique de la Revue nationale. Le chef de l’état était en train, de composer son personnel diplomatique. Déjà il avait accrédité des hommes considérables par leur situation sociale et notoirement monarchistes auprès des grands cabinets de l’Europe. M. Jules Simon, si je suis bien informé, lui proposa le premier d’envoyer un ambassadeur républicain à Berne dans la personne de M. Lanfrey. Il s’aperçut tout d’abord que son interlocuteur, oublieux de toute rancune, ne répugnait pas à ce choix, qui cadrait avec sa politique d’impartialité à l’égard de tous les partis. Ce fut Lanfrey