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chargée de préparer ces changemens. Le temps presse, car si l’on arrive au mois de février prochain sans s’être rendu compte des avantages et des inconvéniens du régime actuel, il n’y aura plus que deux partis à prendre, également dangereux l’un et l’autre : le premier consisterait tout simplement à dénoncer la réforme en revenant au régime consulaire abandonné depuis cinq ans ; il aurait tous les défauts d’une solution extrême ; le second, c’est-à-dire une prorogation plus ou moins longue de la période d’essai, ne serait pas moins fâcheux ; dans l’état présent de l’Égypte, les pouvoirs exorbitans des tribunaux de la réforme sont devenus, en effet, pour le pays, une cause d’irrémédiable faiblesse, un empêchement incontestable à tout projet de réorganisation administrative, politique et financière. Par malheur, on ne se rend pas bien compte es France d’une situation qui touche à l’intérêt capital de notre influence en Orient. Cela n’est point étonnant ; car la France n’a adhéré qu’avec mauvaise humeur à la réforme judiciaire, et, après y avoir adhéré, elle a renoncé, non-seulement à s’en servir pour conserver son autorité sur l’Égypte, mais encore à en surveiller les résultats d’une manière platonique pour savoir ce qu’ils produiraient.

Nous n’avons pas à raconter à la suite de quels incidens diplomatiques les tribunaux mixtes ont été établis ; nous avons encore moins à revenir sur l’anarchie judiciaire qui en a rendu l’établissement inévitable. Toute cette partie de notre sujet a été traitée ici même avec une rare compétence par M. Charles Lavollée[1]. Plus tard, M. Paul Merruau et M. Bousquet ont également fait un récit très fidèle des débuts orageux de la nouvelle magistrature[2]. Nous nous contenterons de rappeler combien M. Charles Lavollée avait raison de reprocher au gouvernement français, au cours même des négociations, la lenteur avec laquelle il se soumettait à la réforme. Cette lenteur a eu pour nous les plus fâcheuses conséquences. Puisqu’il n’était plus possible, de l’aveu de tout le monde, de maintenir en Égypte la juridiction consulaire, il aurait fallu accepter résolument, franchement, la nécessité, se placera la tête du mouvement de réorganisation judiciaire, comme on s’était placé jadis à la tête du mouvement des capitulations, et tâcher, par une initiative hardie et généreuse, de faire tourner au profit de notre influence une révolution que nous ne pouvions point empêcher. Après tout, l’unité de juridiction qu’on allait substituer à la multiplicité des lois et des tribunaux consulaires n’était pas sans avantages pour nous, puisque la magistrature nouvelle qu’il s’agissait d’organiser devait appliquer nos codes, parler notre langue, suivre notre jurisprudence.

  1. Voyez la Revue du 1er février 1875.
  2. Voyez la Revue des 15 août 1876 et 1er mars 1878.