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n’ayant plus aucun commerce avec la patrie, ils les avaient très intimement liés à la cause nationale en leur conservant, non-seulement le poste et les appointemens qu’ils possédaient dans leur pays, mais en leur promettant à leur retour d’Égypte un avancement considérable. Les années passées sur les bords du Nil devaient compter comme des années de campagne ; et rien n’était plus justifié. On ne pouvait pas, en effet, appliquer aux magistrats de la réforme le principe, plus ou moins digne de respect, qui consiste à regarder tout fonctionnaire prêté à un gouvernement étranger comme détaché de son propre gouvernement et n’ayant plus aucun rapport avec lui. Ces magistrats n’étaient pas prêtés au gouvernement égyptien ; ils étaient délégués auprès de lui pour exercer un droit qui appartenait aux puissances en vertu des capitulations et des usages, droit qu’elles avaient bien voulu modifier dans la pratique en le faisant passer des consulats aux tribunaux mixtes, mais dont elles n’avaient consenti à se dessaisir en aucune manière et qui restait parfaitement intact entre leurs mains. Cela est si vrai que l’Autriche et l’Allemagne, les puissances qui ont certainement le mieux compris et le mieux pratiqué la réforme, avaient fait voter par leurs parlemens respectifs des lois transférant pour cinq ans la juridiction sommaire aux tribunaux mixtes, ce qui était une manière de garantir le principe de cette juridiction et de conserver aux nouveaux tribunaux le caractère d’exterritorialité qu’avaient eu les consulats. Considérer les magistrats de la réforme comme des fonctionnaires égyptiens était donc une faute politique en même temps qu’une erreur juridique et diplomatique. C’est une expérience d’ailleurs qu’on tentait en Égypte, puisqu’au bout de cinq ans on se réservait le droit de revenir à la juridiction consulaire si le changement essayé n’avait pas produit de bons résultats. Mais comment savoir si les résultats en étaient bons ou mauvais sans consulter sans cesse les hommes qu’on chargeait d’appliquer le nouveau système judiciaire ? Et comment les consulter sans cesse si on commençait par les traiter en étrangers, par les séparer de la magistrature nationale, par leur déclarer qu’en allant en Égypte ils perdaient tous leurs droits, non-seulement à l’avancement, mais à la retraite dans leur propre pays ?

Dans son rapport à l’assemblée nationale, M. Rouvier avait dit avec raison : « Si l’on veut se prémunir contre les dangers de la réforme, il ne suffit point de soumettre à l’agrément des gouvernemens européens les choix faits par celui du Caire ; il faudrait que les ministres de la justice n’autorisassent que des magistrats ayant déjà fait leurs preuves, et que ceux-ci, considérés comme remplissant une mission, fussent assurés de retrouver leur rang et leur grade dans la mère patrie à l’expiration de leurs fonctions judiciaires en Égypte. » C’était parler avec sagesse et prévoyance. Mais