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secondement, tant que cette hypothèse ne se serait pas réalisée, il ne donnait pas aux puissances un droit d’ingérence immédiate, il ne déclarait pas qu’aucune loi n’aurait un caractère obligatoire sans leur autorisation ; il se bornait à leur permettre de protester par la voie diplomatique contre les mesures législatives qui leur paraîtraient contraires aux traités. Néanmoins, la Porte ottomane protesta contre ces dispositions qui restreignaient, à son avis, d’une manière arbitraire la puissance du gouvernement égyptien. On ne s’explique pas, en effet, pourquoi la réforme judiciaire, qui ne doit être, qui n’est en principe qu’une application nouvelle des capitulations, qui ne saurait par conséquent étendre les privilèges accordés par les capitulations aux nations européennes, qui ne peut qu’en modifier l’application, leur assure la faculté d’exercer sur la législation intérieure de l’Égypte une action directe, constante, absolue. On s’explique encore moins pourquoi cette faculté n’existe que pour l’Égypte, alors que les capitulations règlent la situation des étrangers dans tout l’empire ottoman. Personne ne s’avise de protester au nom du droit lorsque la Porte fait une loi d’administration publique, un règlement financier ou politique. Les puissances ne s’interposent que si le gouvernement turc essaie de soumettre leurs nationaux à l’une des taxes dont les capitulations les ont exemptés. Mais elles se gardent bien de s’ériger en aréopage jugeant souverainement tous les actes législatifs de la Porte, approuvant les uns, déclarant les autres illégaux, frappant ceux-ci de nullité, laissant ceux-là suivre librement leur cours. Dans les embarras financiers qu’a entraînés la banqueroute de la Turquie, elles n’ont jamais prétendu se faire juges des arrangemens proposés aux créanciers ; elles se sont uniquement réservé le droit de remontrance diplomatique. D’où vient qu’il en soit autrement en Égypte, et qu’une seule province de l’empire ottoman se trouve soumise à une sujétion qu’aucune des autres ne supporterait ?

La question de savoir quelle serait la compétence des tribunaux mixtes en matière politique, et particulièrement en ce qui concernerait les lois d’impôt, avait été posée et résolue d’une manière très nette par le gouvernement français dans les négociations d’où la réforme est sortie. Le point de vue où se plaçaient nos négociateurs était, il est vrai, entièrement opposé à celui que les événemens obligent d’adopter aujourd’hui ; car ce qu’on craignait alors, ce n’était pas de voir les tribunaux mixtes contester la légalité des mesures administratives et politiques prises par le gouvernement égyptien, c’était, au contraire, de voir le vice-roi se servir de ces tribunaux pour assujettir les étrangers à un régime de fiscalité oppressive. « Les questions d’impôt, écrivait le 5 mars 1875 M. le duc Decazes, doivent demeurer étrangères à la compétence de la juridiction