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tous les industriels, le renchérissement des denrées alimentaires devant avoir pour conséquence l’augmentation des prix de main-d’œuvre. Enfin, le commerce, qui ne vit que par l’échange, le commerce de Paris surtout, qui se livre très activement à l’exportation, s’émut des manifestations qui se succédaient devant la commission d’enquête et du péril qui paraissait menacer le régime économique auquel il devait le développement de sa prospérité. Il encouragea une association fondée pour la défense de la liberté commerciale et pour le maintien des traités de commerce, association qui, par ses publications, par des conférences organisées à Paris, à Lyon, à Bordeaux, à Saint-Étienne, menait vivement la campagne contre l’armée protectionniste.

Quelles furent, en présence de ces dispositions contradictoires, les conclusions de la commission ? Celle-ci, composée de trente-trois membres, était partagée, quant aux doctrines, en deux fractions presque égales : peut-être les protectionnistes avaient-ils une majorité de trois ou quatre voix ; ils étaient, en outre, très exacts aux séances, de telle sorte qu’ils réussirent à faire prévaloir leur opinion dans les délibérations les plus importantes ; la plupart des rapports furent rédigés par eux ; le président de la commission, chargé de résumer dans un rapport général l’ensemble des résolutions, était de leur bord. Cela explique comment la commission en vint à proposer un tarif dans lequel un grand nombre des droits inscrits dans le projet du gouvernement se trouvaient augmentés. C’était, selon le dire du rapporteur général, un tarif « opportuniste, » approprié aux circonstances et se prêtant aux modifications, aux tempéramens que pourrait exiger l’intérêt diplomatique lors des négociations prévues pour la conclusion de nouveaux traités. La commission espérait que la majorité de la chambre ne résisterait pas à ce tarif paré des couleurs de « l’opportunisme. »

Ainsi depuis 1872, à chaque étape, c’était la protection qui gagnait du terrain, et la réforme se voyait distancée. Le cabinet lui-même, craignant d’essuyer de trop nombreux échecs, jugea prudent de présenter, avant le débat public, un tarif modifié, un tarif de conciliation, moins libéral que ne Tétait son projet primitif et se rapprochant, pour certains articles, des propositions de la commission d’enquête. Il était, lui aussi, gagné par l’opportunisme. Pourquoi ne pas le dire ? la plus grande difficulté de cette discussion, ce fut depuis la première heure l’indécision du gouvernement, soit que les ministres fussent divisés d’opinion, soit qu’ils craignissent de heurter trop directement des influences considérables, des intérêts bruyans ou des préjugés populaires. Sans principes fermes, sans conduite arrêtée, il est impossible d’aboutir à une bonne loi économique ; dans ces matières, le gouvernement est