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seul capable de préparer avec impartialité les décisions législatives et il doit tenir à honneur de les conduire à ses fins. Lui seul est capable, quand il se montre résolu, de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts locaux et sur les compétitions industrielles. Au fond, le gouvernement voulait être libéral ; mais il avait compromis son opinion par un excès de timidité et par des concessions trop promptes. Il lui fallait maintenant beaucoup plus d’efforts pour ramener la discussion au point juste d’où les exagérations protectionnistes l’avaient écartée. L’attitude et les votes de la chambre allaient montrer que, si le cabinet avait tenu bon dés l’origine, la majorité aurait été facilement acquise à une législation libérale.

Au cours de la discussion générale, la faveur avec laquelle furent accueillis les discours successivement prononcés par MM. Pascal Duprat, Rouvier et Rouher, dans l’intérêt de la réforme économique, fit pressentir que la chambre ne se laisserait pas dominer par les doctrines protectionnistes de la commission. L’urgence fut votée, et l’on décida que chacune des sections du tarif formerait un projet de loi distinct qui, après le vote, serait transmis au sénat. Cette procédure inusitée devait avoir pour conséquence de rendre indépendans les uns des autres les intérêts agricoles traités dans les articles des deux premières sections et les intérêts manufacturiers compris dans la section dernière. Elle était, il faut bien le dire, contraire à tous les principes ; car, dans un tarif, toutes les parties se tiennent et un vote d’ensemble est nécessaire pour consacrer la logique et l’harmonie entre les diverses dispositions de la loi douanière. La dérogation aux principes et aux usages fut motivée par la nécessité de mener rapidement ce grand travail, en permettant au sénat de commencer l’étude de chaque section au fur et à mesure des renvois qui lui seraient faits immédiatement après le vote de la chambre des députés. Mais les protectionnistes ne s’y trompèrent pas ; ils prévoyaient que la procédure adoptée allait détruire la ligue formée entre les agriculteurs et les industriels. Si, en effet, la majorité se déclarait contre les taxes proposées en faveur des produits agricoles, il était évident que les défenseurs de l’agriculture n’auraient plus aucun intérêt à soutenir l’augmentation des droits pour les produits manufacturés ; ils voudraient au contraire que l’industrie ne fût pas abusivement protégée au détriment et aux frais de l’agriculture.

Le vote sur les deux premières sections était donc, pour les partis en présence, d’une importance capitale. Il s’agissait du tarif des bestiaux et des céréales. Le débat se prolongea pendant plusieurs séances avec un véritable acharnement. L’avantage demeura au tarif le plus modéré, qui avait été proposé par le gouvernement, et ce vote décida du resta. Quand on en vint plus tard aux