Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produits fabriqués, la discussion, un moment ranimée par les interminables querelles de la filature et du tissage, se poursuivit devant une assemblée clairsemée, distraite, fatiguée et presque dégoûtée, qui avait à subir les plaintes et les prières des quémandeurs de protection. Les orateurs se succédaient à la tribune pour plaider, avec les argumens connus, la cause de telle ou telle industrie, ou plutôt celle de leur circonscription électorale. Chacun voulait la protection pour lui et la contestait à son voisin. Les récriminations les plus amères se joignaient aux exigences les moins justifiables ; la guerre était au camp des intérêts. Un jour, le 22 août, la patience échappa au ministre du commerce, M. Tirard, dont nous n’avons qu’à reproduire les paroles pour rendre plus exactement la physionomie du combat et des combattans.

« Je ne connais rien de plus pénible, de plus douloureux que cette discussion, qui à chaque instant s’agite entre les représentans des diverses industries, qui ont l’air véritablement de se traiter de Turc à More : .. les uns, venant dire que ceux qui se plaignent sont excessivement heureux et qu’ils ont tort de se plaindre, les autres, au contraire, demandant, soit des relèvemens, soit des abaissemens, n’ont qu’une pensée : leur propre intérêt, sans s’occuper le moins du monde des intérêts des autres. Eh bien ! messieurs, c’est là, permettez-moi de le répéter, la démonstration la plus frappante du vice capital de ce système de protection, système pénible, système impossible, qui porte en lui-même la condamnation de cette théorie économique. Oui, véritablement, c’est une discussion lamentable que celle qui s’agite entre les représentans des diverses industries. Le gouvernement s’est placé au-dessus de ces considérations ; il a examiné toutes les branches de production dans leur ensemble et il a pensé qu’il fallait les maintenir dans la situation où elles sont placées depuis un certain nombre d’années, parce qu’il a la certitude que ces industries n’ont pas péri, qu’elles ont au contraire prospéré… » Tel était le sentiment du ministre, sentiment partagé par la majorité qui, après avoir repoussé les amendemens des protectionnistes, se rangea presque toujours du côté du gouvernement, lorsque celui-ci crut devoir combattre, comme excessives ou inutiles, les aggravations de taxes proposées par la commission. Il arriva même que, pour certains articles, la chambre diminua les droits appuyés par le ministre, et il est probable qu’elle eût sensiblement réduit les tarifs des houilles et du pétrole, si l’intérêt fiscal n’avait pas été invoqué.

La commission subit une dernière défaite en voyant rejeter, par un simple vote d’assis et levé, la majoration de 20 pour 100 qu’elle aurait voulu imposer, par voie de représailles et à titre éventuel, aux produits des pays qui frapperaient les produits français de