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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/424

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Alexandre en l’honneur de l’empereur Alexandre Ier, restaurateur du royaume de Pologne, il y a deux arbres, deux cyprès, si ma mémoire ne me trompe, qui, d’après la légende populaire, marquent l’emplacement de la tombe de deux frères, tombés l’un et l’autre dans un duel impie pour l’amour de leur sœur. Cette païenne légende, d’origine sans doute mythique, pourrait, on l’a remarqué avant nous[1], servir de symbole à la lutte fratricide des deux peuples slaves, se disputant à main armée leur commune sœur, la Lithuanie.

Entre les Russes et les Polonais, en effet, le principe de discorde, c’est cette vaste zone intermédiaire, peuplée de diverses tribus slavo-lithuaniennes qui, entre la Duna et le Dnieper, formait l’ancien grand-duché de Lithuanie, jadis réuni à la Pologne sans y avoir jamais été entièrement incorporé, et, depuis les trois partages du dernier siècle, passé aux mains des Russes, qui, sur ces terres en grande partie petites-russiennes ou albo-russiennes, prétendaient à leur tour faire valoir de vieux titres de propriété. La Volhynie, la Podolie et Kief, les provinces que les Russes appellent petites-russiennes et les Polonais ruthènes, et plus encore peut-être la Lithuanie, avec les parties voisines de la Russie-Blanche, telle a été la pomme de discorde entre les deux pays, qui, appuyés l’un et l’autre sur l’histoire et l’ethnographie, réclamaient également ces régions mitoyennes comme une terre nationale, une légitime et inaliénable propriété.

Dans les trois partages de la Pologne, conduits de 1772 à 1795 par Frédéric II et Catherine II, les Russes prétendent n’avoir fait que reprendre leur bien, usurpé par leurs voisins à la faveur du démembrement de l’ancienne Russie et de la domination tatare. Ils prétendent ne s’être annexé aucune terre polonaise avant que les traités de 1815 aient réuni à l’empire le noyau de l’éphémère grand-duché de Varsovie, constitué par le tsar Alexandre Ier en royaume de Pologne[2]. Quand les Russes parlent de la Pologne, ce qu’ils désignent de ce nom, c’est toujours le pays de la Vistule annexé en 1815, c’est la petite contrée circulaire dont Varsovie est le centre et la capitale et que les traités de Vienne ont érigée en royaume. Aux yeux de leurs hommes d’état comme de leurs historiens, il n’existe pas d’autre Pologne, si ce n’est dans les états de l’Autriche et de la Prusse.

Les Polonais, on le comprend, ont peine à accepter ce point de

  1. Voyez Murray, Handbook for Russia, Poland and Finland.
  2. Pour l’exactitude historique, il faut mentionner de 1795 à 1815 l’annexion du district de Bialystok, que Napoléon concéda à Alexandre Ier, à Tilsitt en 1807.