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oublier le service que Ponsard a rendu dans son temps. Car on pense bien que ce n’est pas nous qui lui ferons un reproche de s’être porté jadis, ou laissé porter, comme le chef de l’école du bon sens contre l’école romantique, devenue, s’il faut l’appeler par son vrai nom, vers 1840, l’école publique de l’extravagance et de la déraison. L’école du bon sens ! ne croit-on pas rêver quand on songe qu’en France, il n’y a pas un demi-siècle encore, ce titre a passé pour dérision et pour injure ? Oui ! c’était se ranger parmi les ridicules, en ce temps-la, que de vouloir faire au bon sens sa part, et c’était se vouer aux haros de la séquelle que de ne pas croire que pour être poète il pût suffire de déraisonner. Ponsard eut ce courage :


Il fut ce téméraire ou plutôt ce vaillant ;


et pour notre part nous nous reprocherions de manquer à l’impartialité si nous parlions dédaigneusement de cet honnête artiste, parce que l’adversaire s’appelait Victor Hugo. Mais, avec tout son courage, il a manqué de génie. Et peut-être le génie seul est-il capable de prévaloir, et de retourner l’opinion contre le génie. Il n’y a pas beaucoup de monstres littéraires plus difformes quelles drames die Victor Hugo, mais la langue en est de génie ; détestable, si vous le voulez, ou plutôt d’un détestable exemple, mais vivante, mais extraordinaire, mais unique. Avec un peu de patience et de travail tout le monde peut écrire la langue de Ponsard, et, malheureusement, la force dramatique de ses conceptions n’a rien de moins ordinaire que sa langue. Charlotte Corday tout particulièrement m’apparaît comme médiocre parmi toutes ses autres œuvres. Aussi, n’était l’attrait des allusions politiques, on ne s’expliquerait guère qu’un directeur de l’Odéon eût en l’idée de la remettre à la scène. Nous nous abstiendrons de rien dire de l’interprétation. Elle est exécrable. Au surplus M. de la Rounat ne fait que de prendre possession du second Théâtre-Français. Le monde n’a pas vu sans une agréable surprise un directeur de l’Odéon se résoudre à l’exécution de son cahier des charges. Il faut lui donner maintenant le temps de constituer une troupe, et l’on ne constitue pas une troupe en six semaines. Puisse-t-il y réussir ! Seulement il ne faudra pas qu’il s’avise trop souvent de reprendre des Charlotte Corday.

Si jamais, en effet, drame ou tragédie furent dignes d’être qualifiés drame ou tragédie de collège, c’est Charlotte Corday. Voici ce qu’on appelle une tragédie de collège. Il n’y a rien d’utile comme de préciser quelques-unes de ces locutions littéraires courantes, sous la sévérité desquelles on accable les hommes, ou les œuvres sans autre forme de procès. Tragédie de collège : c’est tout dire, mais il est évident qu’on