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M. Déroulède a parfois de ces grands vers, comme ce dernier, qui s’élancent vigoureusement d’un seul jet. Il en a d’autres, comme ceux-ci :


Laissons tout et partons, trahis tout et suis-moi.


ou encore :


Des armes, en voilà ! des forces, Dieu les donne !


de ce style concis, agissant, sobre de mots empanachés, de métaphores prétentieuses et d’images extraordinaires. C’est le bon style au théâtre. Enfin il rencontre plus d’une fois des couplets d’une mâle et franche éloquence :


Ils ont crié vers toi du fond de leur terreur,
Et toi dont les regards percent les étendues,
Voyant leurs yeux ouverts, voyant leurs mains tendues,
Tu les as retirés du gouffre de l’erreur.


Ah ! si tout le drame était écrit dans la langue, et au ton, de ces quatre vers ! Mais, par malheur, ce qu’il y a de plus faible dans le drame de M. Déroulède, c’en est la forme. Rien de plus facile que de relever dans ces cinq actes de singulières négligences. Il n’en coûte pas plus au poète de rimer par le même mot que de faire tout à coup rimer trois vers ensemble, ou que de rompre ailleurs la mesure et de terminer inopinément une réplique quelconque par une cadence lyrique. Si c’est un système, nous le croyons mauvais. Il augmenta à son gré dans les mots ou diminue selon sa convenance le nombre des syllabes :


Il n’a rien dit malgré ce que je disais,


Si M. Déroulède veut que ce vers ait douze syllabes, il a contre, lui l’exemple universel, je crois, et voilà sans doute une césure étrangement placée :


Il n’a rien dit malgré ce que je disais…


Mais celui-ci certainement n’en a pas plus de onze :


Et ce renégat qui les entraîne tous,


à moins que l’accent circonflexe ne prenne dans « entraîne » la valeur d’un tréma sur l’i. Relèverai-je les fautes non pas contre la syntaxe, que je ne prends pas en garde, mais contre la langue ? Elles fourmillent.


Je deviens fraternelle à vous voir filial,