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Sublime élancement du désespoir, dernier terme du pathétique ! . Maintenant, essayez de changer les paroles ; dites :

J’ai trouvé mon Eurydice,
Rien n’égale mon bonheur,


Et la voix, l’âme d’un grand chanteur aidant, il n’en faudra pas davantage pour convertir la plainte en cri de joie, ce qui prouve qu’on ne doit user de la théorie qu’avec une extrême discrétion, et qu’en musique il n’y a de vrai beau que le beau spécifiquement musical.

Il n’importe, c’est encore un bien joli chef-d’œuvre que ce Comte Ory ; quelque chose de vif, d’enlevé, de brillant, qu’il faudrait classer entre le Barbier et Cenerentola, en ayant soin pourtant de faire cette réserve à l’avantage du Barbier que, si lorsqu’on les considère au seul point de vue musical, les morceaux des trois partitions vous semblent d’une égale valeur, l’unique Barbier se recommande par cette homogénéité de contexture et ce je ne sais quoi de jaillissant, de fulgurant, d’inconscient, qui dans les lettres et dans l’art caractérise les naissances prédestinées ; mais, je le répète, il s’agit là d’une exception, et l’immunité que vous accordez au Barbier, emporté que vous êtes dans ce tourbillon de génie, ne saurait s’étendre sur tout le reste de ce premier répertoire ; c’est élégant, pimpant, éblouissant de verve et d’esprit, mais l’émotion manque. Qu’il s’agisse d’un conte de fées, comme dans Cenerentola, ou d’un fabliau, comme dans le Comte Ory, l’auteur ne se met pas en peine de réfléchir au caractère du sujet, et sur ce terrain de la vérité dramatique, tel de nos petits maîtres français le battrait. Nicolo Isouard n’était certes pas un musicien qui se puisse comparer à Rossini, ce qui ne l’empêche pas d’avoir écrit un opéra de Cendrillon, qui, pour le sentiment, la grâce touchante, le naïf, l’emporte de beaucoup sur cette fameuse Cenerenlola, si ondoyante et si disparate, dont les habits prêchent misère, tandis que les perles et les diamans lui sortent de la bouche.

J’en dirai autant du Comte Ory, ce fabliau du XIVe siècle, traité en anecdote par deux hommes d’esprit du XIXe. Au moins cet excellent Etienne, de l’Académie française, prenait-il encore au sérieux son conte bleu, tandis que Scribe, comme s’il eût flairé d’avance le nonchaloir de son gouailleur d’Italien, se contente de lui fournir une grivoiserie chevaleresque en style de la restauration. Ce coquin de jouvenceau, qui, tandis que tous les paladins sont à la croisade, imagine de jouer au bon ermite, distribuant aux portes du château ses consultations et ses patenôtres sans que personne le reconnaisse, ni la noble dame dont son cœur est épris, ni même son propre page, ce gouverneur taillé sur le patron d’un précepteur de vaudeville, multipliant par voie