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et par chemin ses remontrances et craignant toujours de perdre ses appointemens :

Si votre père apprend cette folie,
Ma place me sera ravie !


Ce maître ivrogne allant aux informations dans les caves du manoir et y découvrant parmi les cruches et les dames-jeannes le champagne mousseux de la veuve Clicquot :

Là frémit le Champagne,
Du joug impatient !


Est-ce assez renversant, assez Scribe, assez complet comme garniture de cheminée ! Nous avons eu au premier acte le capucin de baromètre, voici venir au dénoûment le chevalier français à colloquer sur la pendule !

Eh bien ! la musique est un art si accommodant que même tout ce poncif ne la découragera pas. Il y a là deux notes qui prédominent : la note bachique et la note chevaleresque, du Rabelais et du Spontini. On met en campagne le chœur des buveurs, on fait sonner haut les clairons, et la position est enlevée. Il va sans dire que les morceaux de concert et les formules à l’italienne continuent à surabonder ; les roulades et les vocalises sont les fleurs de cette culture ; à l’exemple du lierre, elles meurent où elles s’attachent et trop souvent elles font mourir l’arbre même, mais que d’épanouissemens exquis dans ce parasitisme, et qu’est-ce après tout qu’une série de trilles à traverser quand il s’agit d’atteindre à ce trio du deuxième acte : une merveille de style, d’instrumentation et de science du théâtre ? La scène, très risquée, prêtait au pittoresque, seulement il y fallait un pinceau délicat, et notre Italien n’était pas homme à se laisser sur ce point prendre en faute. — Il fait nuit, le comte, sans se douter que sa ruse est éventée, rôde à tâtons par la chambre, tandis que la jolie châtelaine, aux bras du jeune page, s’amuse à se gausser de lui. — Impossible de rien imaginer de plus achevé que ce morceau qui débute par une phrase délicieuse dont l’orchestre mystérieux, estompé, accompagne la voluptueuse langueur, qui se poursuit, s’accélère, se passionne en dialogue et se termine par un flamboyant allegro à l’italienne que chacun des personnages vient redire à son tour. Quelle finesse de touche en ce petit chef-d’œuvre ! que cela est vivant, bien à sa place et bien campé ! Vous pensez à la fois à Boccace et à Mozart. La seule intention de rétablir dans son juste encadrement un si rare tableau suffirait pour motiver cette reprise ; de tels bijoux ne doivent pas disparaître. Chose curieuse pourtant que le Comte Ory, l’un des plus charmans opéras du répertoire comique de