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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/559

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dans la lutte et par la lutte. Le jour où il est fondé, où il semble n’avoir plus rien à craindre de ses adversaires, où il est à son point culminant, une autre épreuve commence pour lui, l’épreuve de la victoire, souvent plus difficile que l’épreuve du combat. Le succès fait oublier le danger et endort la vigilance. L’infatuation entre dans les conseils, la vigueur d’impulsion s’amortit ou s’égare, les forces se divisent. Scissions, rivalités, brigues de pouvoir et d’ambition, vaines querelles ou conflits irritans, tout concourt à user les ressorts intérieurs du régime, et sous l’apparence d’un règne incontesté, sous le voile d’une sécurité trompeuse, se renoue sans cesse la crise des révolutions inattendues, — inattendues et inévitables. « On se croit éternel, on sera à peine durable, » disait dans ses derniers jours M. Thiers en passant la revue des gouvernemens avec cette ingénieuse sagesse qui se composait de réflexion et d’expérience, qui se plaisait à se souvenir et à avertir.

Se croire éternel, être à peine durable, c’est le destin de tous les régimes qui se sont succédé en France depuis un siècle. C’est l’histoire de ce régime de 1830, qui, après avoir passé ses premières années en luttes laborieuses et fructueuses, après avoir réussi à triompher de tout, des difficultés intérieures, des méfiances extérieures, touche, lui aussi, à ce point culminant où la victoire définitive, — en apparence définitive, — n’est parfois que le commencement du déclin. Ce n’est pas assurément que, dès 1837 et 1838, la monarchie de juillet en soit déjà à se sentir menacée ; elle a, au contraire, devant elle bien des années où elle apparaît avec tous les caractères des gouvernemens fondés, où elle est de plus en plus acceptée en Europe aussi bien que dans le pays comme l’image vivante de la révolution française fixée et libéralement coordonnée. Il y a cependant, au sein même des prospérités qui créent toutes les illusions de la durée, il y a le moment décisif qui marque pour ainsi dire le point de partage dans le règne : c’est ce moment où la politique inaugurée par Casimir Perier, continuée par ses successeurs, subit dans l’éclat du succès une première atteinte par la dissolution du ministère du 11 octobre.

Jusque-là, c’est la jeunesse du régime, le combat pour l’existence soutenu en commun par les talens les plus puissans ; c’est le temps où la révolution de 1830 se défend de l’anarchie dans la rue, des entraînemens de la guerre au dehors, où elle aspire à rester régulière et pacifique, sans cesser néanmoins d’être libérale et nationale, sans craindre de se risquer jusqu’à l’expédition d’Ancône et la protection armée de la Belgique naissante. A dater du moment où cette première partie de l’œuvre semble accomplie et où disparaît le ministère du 11 octobre, tout se complique : les combinaisons de parlement et de pouvoir deviennent plus difficiles