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dans la confusion des partis, des idées et des influences. Les forces se divisent, les faiblesses et les incohérences s’accusent. La lutte s’ouvre entre les systèmes, entre un certain instinct de libéralisme plus actif et la passion de l’ordre poussée jusqu’à l’immobilité, entre l’esprit d’initiative dans les affaires extérieures et le fanatisme de la paix. La royauté, elle-même, impatiente d’action, s’engage de plus en plus dans la mêlée, au risque de déplacer les rôles, de se compromettre et d’aggraver les difficultés pas ses ostentations de prépondérance personnelle. La monarchie de juillet glisse dans cette voie où elle trouve comme des étapes, comme des épreuves successives, la crise parlementaire de la coalition, la crise extérieure de 1840, la mort du duc d’Orléans, avertissement aussi redoutable qu’imprévu contre la pérennité des espérances dynastiques. Le problème des premières années de la monarchie de 1830 se résume en un mot : Comment un gouvernement se fonde ! Les dernières années contiennent un autre problème aussi instructif que saisissant : comment un gouvernement se fatigue, vieillit et périt ! comment un régime à l’extérieur puissant arrive par degrés, selon le mot terrible et prophétique de M. Royer-Collard, à cette heure fatale où a il n’est plus besoin du marteau contre l’édifice ébranlé, un coup de vent peut suffire aujourd’hui[1] ! »


I

Au moment où M. Thiers sortait du pouvoir vers la fin du mois d’août 1836, ce n’était en apparence qu’un changement de ministère motivé par un dissentiment entre le souverain et le président du conseil sur les affaires d’Espagne. En réalité, c’était le signe de l’altération croissante de toute une situation publique. C’était le passage de « l’ère des combats » à « l’ère des difficultés, » comme on l’a dit depuis, — de la période militante, héroïque de la monarchie de 1830, à la période des discordances parlementaires, des complications intestines, des conflits stériles, sous le regard d’un prince habile, trop porté à s’engager lui-même de sa personne, de son influence, de son autorité, dans ces mêlées confuses. La chute du ministère du 11 octobre avait ouvert la crise ; la chute du ministère du 22 février l’aggravait en ajoutant au fractionnement des opinions,

  1. On peut consulter sur cette époque de 1830-1848 bien des ouvrages intéressans. Un des plus sérieux est l’Histoire du règne de Louis-Philippe, roi des Français, par M. de Nouvion, travail aussi impartial que sensé, mais qui s’arrête malheureusement à 1840. L’œuvre a été interrompue par la mort de l’auteur. Depuis, un jeune écrivain, M. Victor du Bled, a publié sous le titre d’Histoire de la monarchie de juillet, un livre en deux volumes où la période entière est racontée et résumée avec une soigneuse intelligence.