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en laissant M. Thiers dans la position d’un homme qui avait voulu imprimer un mouvement plus vif à la politique extérieure du régime et ne l’avait pas pu, qui restait désormais le chef d’un groupe dissident et indépendant sous le nom de centre gauche. La question qui s’agitait entre les partis, entre la couronne et le parlement, était de savoir quelles combinaisons nouvelles suppléeraient aux combinaisons qui venaient d’échouer, comment le régime retrouverait son équilibre et sa direction, — si la révolution de juillet reprendrait une marche plus assurée ou si elle tournerait sur elle-même jusqu’à s’épuiser. Les impossibilités se multipliaient, et c’est dans ces conditions que se formait une administration nouvelle qui, après avoir paru hésiter entre tous les systèmes, finissait par se fixer dans une politique de dextérité et d’expédient à laquelle le comte Molé donnait son nom. C’est aussi dans ces conditions, en face de ce ministère nouveau, que se préparait obscurément la plus dangereuse des crises pour la monarchie constitutionnelle, une crise pleine de péripéties, où M. Thiers allait se dégager par degrés dans son rôle de chef d’opposition redoutable.

Précisons cette situation dans ses origines. Le ministère Molé, né du trouble ou de la décomposition des partis à la chute de M. Thiers, était, à vrai dire, moins une solution qu’une expérience de plus dans les affaires de la monarchie de juillet, et il avait deux phases, il s’était produit d’abord, au 6 septembre 1836, comme une résurrection partielle du 11 octobre, tentée ou acceptée par M. Molé avec le concours de M. Guizot et des doctrinaires ; mais l’heure de la politique de résistance et de combat, représentée par le 11 octobre, était passée et n’était pas revenue ; on le sentait aux hésitations de la chambre des députés devant ce que M. Dupin appelait spirituellement une « constellation » de lois impopulaires : loi de disjonction à la suite de la tentative napoléonienne de Strasbourg, loi sur la non-révélation à la suite d’un attentat contre le roi, propositions d’apanages pour les princes. De plus, entre le président du conseil et son puissant collègue, M. Guizot, les incompatibilités de caractère, les rivalités de prééminence, les froissemens intimes préparaient d’inévitables scissions, et bientôt, la rupture éclatant à l’occasion de l’échec de la loi de disjonction, tout changeait. Le comte Molé restait seul chargé de reconstituer un cabinet avec quelques hommes de confiance et de bonne volonté. Le ministère du 6 septembre 1836 devenait le ministère du 15 avril 1837, dont le chef, dégagé de l’alliance avec les doctrinaires, se flattait de pouvoir désormais avoir sa politique à lui, une politique de transaction, de médiation entre les partis, de ralliement universel. Il y avait eu le ministère Casimir Périer, le ministère de Broglie, il y avait eu déjà un ministère Thiers, il n’y avait pas eu encore un ministère