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des institutions parlementaires reparaissait tout entier, et par une inquiétante anomalie le gouvernement avait devant Lui, contre lui, non plus seulement ses ennemis naturels, ceux qui l’avaient toujours combattu, mais encore ses ais, ses alliés, ses conseillers de la veille. D’un côté se trouvait seul, ou presque seul, un homme, le comte Molé, retranché à l’abri de la faveur du prince, assailli de toutes parts, n’ayant d’autre secours, en dehors de lui-même, que la brillante et inconstante alliance de Lamartine, le légitimiste de la veille traversant le camp de la dynastie nouvelle avant de passer à la république ; de l’autre côté, se trouvaient presque tous les hommes qui avaient été les premiers serviteurs de la révolution de juillet, les ministres, les orateurs du régime nouveau, et M. de Broglie et M. Guizot, et M. Thiers, et avec ceux-ci M. de Rémusat, M. Duchâtel, M. Duvergier de Hauranne, M. Passy, M. Dufaure, M. Villemain, M. Cousin. Pendant près de quinze jours, devant la chambre, devant le pays, se déroulait au milieu de toutes les péripéties, une lutte acharnée, sans cesse renaissante, où les chefs de l’opposition se succédaient à la brèche, où le comte Molé, loin de faiblir, grandissait sous l’aiguillon, déployant une fermeté et un esprit d’à-propos qui suffisaient, sinon pour lui assurer la victoire, du moins pour le préserver d’une humiliante défaite. Le spectacle était étrange !

Ce qu’il y avait de grave, c’est que, dans cette mêlée de toutes les forces parlementaires, c’était la royauté qui se trouvait perpétuellement en cause. Elle apparaissait partout, à travers le voile déchiré des fictions et pour ainsi dire à chaque détour de ces discussions passionnées. Les efforts tentés pour la défendre la découvraient encore plus ; les traits dirigés contre le ministère atteignaient plus haut. L’irresponsabilité semblait disparaître, et ce que ne disaient qu’avec mesure ou avec habileté des hommes comme M. Thiers, M. Guizot, notoirement attachés à la dynastie, d’autres le disaient avec plus de hardiesse, étendant à tous les ministères du régime le procès fait à un seul ministère, dénonçant sous tous les noms, à travers toutes les combinaisons, le « système, » la « pensée du règne. » La force des choses remettait en présence, au milieu de toutes les ardeurs d’un débat public, le droit du roi et le droit du parlement, ces deux grands rivaux qui ne « s’entendent jamais mieux que dans le silence, » ainsi que le disait autrefois de Retz, l’homme des frondes set des coalitions.


II

C’est la fatalité de ces luttes confusément engagées de dépasser presque toujours le but, de s’aggraver par la durée, par les