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différend entre l’Angleterre et le roi de Naples. Rien donc ne semblait annoncer une crise prochaine, — lorsqu’entre un lever et un coucher de soleil tout se trouvait changé en Europe. Le 15 juillet, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse s’étaient liguées « à quatre » pour régler les affaires d’Orient, pour obliger au besoin par la force et à brève échéance Méhémet-Ali à abandonner la Syrie, à rentrer dans son pachalik d’Égypte, — et ce traité on l’avait signé à la dérobée, sans avoir même demandé un dernier avis au cabinet des Tuileries ! D’un seul coup, la France se sentait atteinte dans sa politique par l’acte lui-même, dans sa dignité par le procédé, dans sa sécurité par cette apparence de coalition nouvelle.

Heure émouvante dans le règne ! Moment terrible où la France, après avoir passé dix ans à réprimer toutes ses impatiences de guerre, à prodiguer les gages de modération, à s’efforcer de réconcilier la révolution de juillet avec l’Europe, se trouvait soudainement isolée et offensée ! Ce qu’il y avait de plus dur, c’est que le coup parut venir de l’Angleterre, qui semblait être une alliée naturelle, et ce qu’il y avait de grave, c’est qu’en un instant on venait de faire de la question d’Orient une question d’Occident en mêlant pour la France à un déplaisir de politique une blessure et une menace. Que le traité du 15 juillet, dans l’intention de quelques-unes des puissances, ne fût pas précisément un acte d’hostilité contre la France, c’était possible ; malheureusement on ne pouvait ni détruire l’effet moral d’une alliance formée pour porter la guerre en Orient contre un client de la politique française, ni se flatter de gouverner jusqu’au bout les événemens qu’on déchaînait. A l’acte de Londres répondait aussitôt dans tout le pays une immense explosion d’irritation nationale, où pour un instant tous les partis se confondaient. Le roi lui-même n’avait pas été le dernier à ressentir l’injure et à s’associer au mouvement de l’opinion. Un matin de la fin de juillet, il appelait à Saint-Cloud le président du conseil, et en présence de la famille royale réunie, il lui parlait avec une confiance émue, mais résolue ; il lui disait qu’on ne devait rien céder du terrain où l’on s’était placé, qu’il fallait persévérer, agir avec fermeté, quoique toujours avec prudence. M. Thiers, pour sa part, sans désespérer encore de pouvoir tirer parti des difficultés que l’exécution du traité susciterait, sans méconnaître non plus la gravité de la situation et sans en décliner les devoirs, M. Thiers n’hésitait pas à se placer en face de toutes les éventualités. Si en négociant on pouvait obtenir quelque atténuation qui adoucît la crise, rien de mieux ; dans tous les cas, la première nécessité était de se tenir prêt à tout. M. Thiers agissait en conséquence avec la vivacité de sa nature, avec la résolution d’un homme pénétré de ce sentiment qu’on était à une de ces heures où un grand pays ne