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le fond de la question, c’est ce que je dis à mon pays. Si vous ne faites pas passer cette conviction dans l’esprit du monde, si l’on ne croit pas que vous serez prêts à vous lever le jour où l’on vous bravera, vous serez bientôt la dernière des nations. Oui, s’il y a quelque part, sur une grande question, à un jour donné, le projet bien évident de se mettre tous contre un pour vous annuler, ce jour-là, il faut qu’on sache que vous êtes prêts à braver toutes les extrémités pour déjouer ce projet. Si vous ne le faites pas croire au monde, vous n’êtes plus la France, vous n’êtes plus une grande nation. lit est la question, elle est là tout entière ! ..


Évidemment, la situation était restée singulièrement compliquée pour la France de juillet, placée par la crise de 1840 entre l’Angleterre par qui elle croyait avoir été trompée et les cours absolutistes de l’Europe, pour qui, en dépit de tous les efforts de modération, elle gardait l’effigie révolutionnaire. Cette malheureuse crise, elle était faite pour peser, — même sur la politique la plus pacifique. Elle avait laissé des difficultés, des froissemens, des malaises destinés à se reproduire sans cesse dans une suite d’affaires, depuis le droit de visite jusqu’aux mariages espagnols et aux agitations italiennes en passant par l’expédition du Maroc, l’expulsion d’un consul anglais des îles de l’Océanie, l’incorporation sommaire de Cracovie à l’Autriche. Ce que M. Thiers ne cessait de reprocher à la politique d’ostentation pacifique du 29 octobre, c’était de rendre par ses faiblesses la paix même suspecte et difficile, plus difficile qu’elle ne l’eût été peut-être par une certaine fermeté déployée à propos.

C’était particulièrement de pratiquer avec l’Angleterre un système de rapports qui, après avoir ressemblé à de l’obséquiosité, passait bientôt à de nouvelles et plus dangereuses scissions. On avait commencé par oublier trop vite la blessure de 1840 ; on avait offert au monde le spectacle des visites royales échangées entre Windsor et Eu, d’une réconciliation décorée du nom a d’entente cordiale, » et lorsque l’alliance pouvait redevenir utile en confondant l’action des deux puissances libérales dans les affaires de Cracovie, de Suisse ou d’Italie, on la compromettait de nouveau, — pourquoi ? Pour le mariage d’un prince français avec la sœur de la reine d’Espagne, pour un événement de famille ! Ce que M. Thiers reprochait enfin à M. Guizot, c’était de suivre une politique extérieure qui aurait pu être la politique de la restauration, qui ne répondait pas à l’esprit de la révolution de juillet. La France de 1830, malgré des impatiences guerrières et des ressentimens mal éteints, avait donné la plus éclatante marque de modération en reconnaissant dès le premier jour l’autorité des grands règlemens diplomatiques de 1815. Elle n’avait pas juré de les aimer, — M. Thiers prétendait qu’il fallait « les observer et les détester, » — et, en respectant