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nationale. L’écrivain racontait de grands souvenirs ; le député s’écriait un jour en se tournant vers les ministres : « Vous venez dire que vous avez fait la grandeur du pays ! Grandeur, grandeur, quel mot à prononcer dans ce temps-ci, avec cette manière de gouverner ! » Historien, chef parlementaire, orateur, c’était toujours le même homme, combattant une politique par ses œuvres et par ses discours.


IV

Entre l’opposition parlementaire représentée surtout par M. Thiers et ce ministère du 29 octobre qu’on peut bien appeler le ministère à la longue vie, qui avait raison ? qui se trompait ? où conduisait ce conflit permanent des opinions et des partis ? Il est vrai, à n’observer que la surface des choses, le gouvernement gardait tous les avantages. La France semblait être définitivement entrée dans une ère de régularité constitutionnelle. La monarchie de juillet paraissait avoir franchi les plus dangereux défilés ; elle n’était plus ni attaquée par les armes comme aux premières années ni sérieusement contestée dans son existence. Le ministère soutenu par la faveur du roi avait une majorité invariable, obstinée dans les chambres, et les élections de 1846 lui donnaient un nouveau bail de pouvoir. La politique de « l’ordre et de la paix » triomphait, on le croyait ainsi et on le disait. C’était la plus malheureuse des illusions. La vérité est que cette situation n’avait que les dehors de la force, qu’elle s’épuisait par degrés, que tout concourait à préparer de nouvelles et inévitables crises. Le succès même, ou ce qui ressemblait au succès, ne servait qu’à déguiser la réalité.

Le mal de la situation, il était dans les pouvoirs eux-mêmes et dans l’état moral du pays. Le roi Louis-Philippe n’était plus jeune. Il avait été assurément la première force du règne par la libéralité de son esprit, par son courage, par sa prudence habile. Il avait les inconvéniens des princes capables ; il avait trop voulu gouverner, faire sentir son autorité personnelle. Il finissait par absorber en lui-même ce régime constitutionnel, dont il était la tête couronnée, et il s’exposait à paraître confondre la nation dans la dynastie au lieu de confondre la dynastie dans la nation. Il croyait sincèrement, par la fixité de sa pensée, par l’immutabilité de son système, de sa politique à travers toutes les crises et toutes les mobilités publiques, il croyait seul ou à peu près avoir épargné au pays la guerre et l’anarchie. Il avait le sentiment presque naïf, un peu exubérant de la nécessité de son pouvoir, de son rôle royal, et avec les années ce goût de « gouvernement personnel » prenait le caractère d’une obstination de vieillard. Le roi redoutait tout changement, il ne supportait plus qu’avec impatience la contradiction ou les conseils de ceux qui ne pensaient pas comme lui. Il ne