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fatiguait pas le dévoûment de ses serviteurs qui, étaient encore plus des amis, comme M. de Montalivet, qui savaient allier l’indépendance à la fidélité ; il alarmait leur prévoyance. Il n’était pas moins obéi dans sa famille, où sa volonté ne rencontrait que le respect ; il inquiétait l’affection soumise de ses fils qui, plus jeunes, étaient plus sensibles aux frémissemens extérieurs, et c’est M. le prince de Joinville qui, à bord de son navire à la Spezzia, dans l’intimité, écrivait à son frère M. le duc de Nemours, cette lettre, témoignage d’une clairvoyance attristée et courageuse : « Je commence à m’alarmer sérieusement, disait le prince… le roi est inflexible, il n’écoute plus que son avis,.. il faut que sa volonté l’emporte sur tout… Il n’y a plus de ministres, leur responsabilité est nulle, tout remonte au roi. Le roi est arrivé à un âge où l’on n’accepte plus les observations. Il est habitué à gouverner, il aime à montrer que c’est lui qui gouverne. Son immense expérience, son courage et toutes ses grandes qualités font qu’il affronte le danger audacieusement ; mais le danger n’en existe pas moins… » Bref le régime vieillissait avec le souverain, et le ministère ne le rajeunissait pas.

La politique du ministère, c’était la politique du souverain, que M. Guizot couvrait de son éloquence devant les chambres. Au fond, prince et ministre avaient les mêmes idées, les mêmes illusions. Leur erreur et leur faiblesse commune étaient de ne voir que le succès du moment, de se méprendre sur les caractères d’une situation dont ils se flattaient d’être les créateurs et les gardiens privilégiés. Ils avaient sans doute maintenu, ils maintenaient encore la paix ; mais cette paix, certes désirable et bienfaisante en elle-même, elle avait été parfois achetée trop chèrement pour n’être point entourée d’une certaine impopularité, pour ne pas peser au sentiment national, et en définitive, après tant d’efforts et de sacrifices, elle n’était plus même sûre. Par les mariages espagnols la politique française avait profondément irrité l’Angleterre, la reine Victoria aussi bien que son ministre lord Palmerston, les tories comme les whigs, — et elle ne pouvait, d’un autre côté, chercher un contre-poids auprès des puissances du continent qu’en s’aliénant plus ou moins elle-même au profit de l’absolutisme en Italie ou en Suisse. Arrivée à un certain point, la monarchie de 1830 se trouvait placée entre ces connivences absolutistes qui la dénaturaient et cette inimitié anglaise qui pouvait être un péril, qui faisait dire au prince de Joinville : « Ces malheureux mariages espagnols 1 nous n’avons pas épuisé le réservoir d’amertume qu’ils contiennent. » A l’intérieur, le régime paraissait certes fondé. La politique conservatrice, telle que la comprenait M. Guizot, avait réussi ; elle durait, elle maintenait l’ordre comme elle maintenait la paix ; elle avait, selon le mot de M. Thiers « la faveur des grands pouvoirs. » En réalité, c’était une