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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/593

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catastrophe. Le jour, où de cette confusion accrue depuis quelques années sortait un conflit un peu sérieux à propos d’un dernier banquet organisé à Paris comme une protestation, comme un rendez-vous de sédition possible, ce jour-là, au mois de février 1848, le secret de la situation tout entière éclatait. Le gouvernement se sentait défaillir, non parce qu’il manquait de courage ou parce que le péril était plus grand qu’il ne l’avait été en d’autres temps, en 1832 et en 1834,lorsqu’on livrait bataille à de formidables insurrections, mais parce qu’il n’avait plus, contre un péril infiniment moins grave, la sève et la confiance hardie d’autrefois. Il se sentait défaillir parce qu’avec sa « légalité » et sa a majorité, » il n’était sûr ni de lui-même, ni de l’opinion, ni de la garde nationale.

Au premier choc, le ministère de huit ans avait commencé par s’éclipser dans la bourrasque qui, le premier jour, n’était qu’une échauffourée et, le troisième jour, le 24 février, était la chute du trône. Au dernier moment, M. Thiers avait été appelé aux Tuileries pour faire un ministère et il a lui-même raconté cette scène singulière dans ses conversations avec M. Senior. « Le roi, dit M. Thiers, me reçut froidement : « Ah ! s’écria-t-il, vous ne voulez pas servir dans le règne ? » Ceci était une allusion à un ancien discours. Je me fâchai et dis : « Non, sire, je ne veux pas servir dans votre règne. » Ma mauvaise humeur calma la sienne. « Allons, reprit-il, il faut causer raisonnablement. Qui allez-vous prendre comme collègues ? — Odilon Barrot, répondis-je. — Bien ! repartit le roi,.. il est bon homme. — M. de Rémusat. — Passe pour lui. — Duvergier de Hauranne. — Je ne veux pas en entendre parler. — Lamoricière. — A la bonne heure ! .. Maintenant allons aux choses. — Il nous faut la réforme parlementaire. — C’est insensé ! répondit-il, vous aurez une chambre qui nous donnera de mauvaises lois et peut-être la guerre… — … Puis il faudra dissoudre la chambre actuelle. — Impossible ! s’écria le roi, je ne puis me séparer de ma majorité. — Mais, dis-je, si vous refusez toutes mes propositions, comment puis-je vous servir ? .. » Le fait est que la question n’était plus entre le roi et M. Thiers, et qu’au moment où l’on délibérait, la marée montait, prête à envahir à la fois les Tuileries pour en chasser la royauté, la chambre pour en chasser la représentation légale du pays, Paris et la France : pour en chasser tout ordre régulier. Le mouvement déchaîné ne s’arrêtait plus ni au vieux roi ni à la régence de la duchesse d’Orléans. Il allait jusqu’au bout, jusqu’à la « catastrophe » qui emportait tout, opposition et gouvernement, où M. Thiers, vaincu avec tout le monde, disparaissait pour se retrouver bientôt en face de révolutions et d’événemens de toute sorte, gros de périls pour la liberté, pour l’honneur et les intérêts de la France.


CHARLES DE MAZADE.