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La seconde partie de la proposition portait que « Sa Majesté serait suppliée de suspendre pour une année l’institution royale des juges qui doivent composer définitivement les tribunaux. » M. Hyde de Neuville reconnaissait ce qu’avait de délicat une résolution qui était au fond un acte de défiance contre M. Pasquier et M. Barbé-Marbois ; « mais le roi ne pouvait ignorer que tous les bons esprits en France étaient effrayés de voir accorder avec précipitation, d’avoir vu donner (il fallait avoir le courage de le dire) l’institution royale à des hommes indignes qui avaient profité d’une méprise. » L’auteur de la proposition ne voulait pas aller chercher ses exemples dans les actes accomplis par Bonaparte, mais nul n’ignorait qu’il avait suspendu l’inamovibilité pendant cinq ans. N’était-ce pas quand les passions étaient en mouvement qu’il fallait demander au temps le soin de les calmer ? Si l’on objectait qu’un ajournement de l’institution était une menace, il serait facile de répondre qu’au contraire, « la crainte de perdre son emploi et de n’être pas confirmé engagerait le juge à redoubler de zèle dans l’exercice de ses fonctions. » (Moniteur du 5 novembre 1815.)

La mesure ne présentait point d’équivoque. Au moment où le député du Cher développait sa proposition, l’ordre judiciaire ne possédait qu’un titre précaire, moins trois cours et un tribunal institués par le roi auxquels il fallait ajouter certains magistrats individuellement nommés par ordonnance royale. Si le projet était accueilli, les magistrats régulièrement investis seraient dépouillés du caractère dont ils avaient été revêtus et, partageant le sort des autres compagnies judiciaires, ils verraient reculer d’une année une garantie annoncée depuis quinze ans et promise en vain depuis dix-neuf mois.

Les députés de 1815 se saisirent du projet avec joie et lui donnèrent une portée qui, sous la parole hautaine du rapporteur, M. de Bonald, n’allait à rien moins qu’à menacer dans leur ensemble l’organisation judiciaire et les hommes qui la composaient. Ne déguisant pas son dessein de rapprocher les cours royales et les tribunaux de ce qu’étaient jadis les parlemens, les bailliages et les justices locales, M. de Bonald traçait un séduisant tableau de la justice sous l’ancien régime, osait affirmer que le nombre des juges s’était considérablement accru, soutenait que les codes offraient aux ignorans les moyens de multiplier la chicane, tandis que les procès étaient favorisés par un accès trop prompt auprès des tribunaux, qu’il était nécessaire de reconstituer les grands corps judiciaires, de diminuer le nombre des cours pour augmenter les compagnies ; qu’il importait peu de faire des mécontens, puisqu’il s’agissait d’exclure des ennemis du roi.

Quelle que fût l’assurance avec laquelle le rapporteur soutînt sa