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de province, dont le nouveau régime avait couronné les vœux. Les institutions créées par la nation, ainsi que les lois pénales adoucies par elle, s’unissaient pour rendre leur tâche plus facile. Il est aisé de savoir ce que fut la magistrature sous le gouvernement de juillet. A aucune époque de notre histoire, parlementaire, les discussions du budget ne furent plus fécondes en renseignemens sur la marche des services publics. Grâce à l’étendue de ces discussions, nous connaissons les griefs et les vœux exprimés, les projets de réformes judiciaires conçus pendant dix-huit ans.

A l’institution en elle-même aucune critique générale ne fut adressée. Ce n’est pas ici le lieu de suivre les débats qui s’élevèrent sur l’extension de la compétence des juges de paix, sur l’organisation de la suppléance au tribunal de la Seine, sur la meilleure forme à donner à l’organisation du noviciat judiciaire. Il faut lire ces discussions remplissant plusieurs séances des deux chambres, pour se rendre compte de l’éclat que leur donnait la parole du premier président Portalis, celle de M. Laplagne-Barris, de M. Vivien ou de M. Barthe. Ce que nous voulons retenir des débats annuels sur le budget, c’est le tableau des accusations portées alors par l’opposition. Sans y insister, les orateurs faisaient allusion à la sévérité de la magistrature en matière de presse. En leur rendant la connaissance de quelques infractions politiques, les lois de septembre avaient fait aux tribunaux le plus funeste présent, elles avaient mis les juges dans cette situation déplorable qui est commune à toutes les causes politiques, où leurs jugemens ne passent jamais pour l’expression de leur conscience, mais pour un acte de faiblesse intéressée soit envers le gouvernement, soit envers l’opposition dont on les accuse de rechercher les faveurs. Ce qui revenait le plus souvent, c’étaient les critiques contre les cours royales, qu’on accusait de distribuer avec partialité le profit des annonces judiciaires et d’avoir ainsi accordé aux journaux ministériels de scandaleuses subventions. En relisant ces grands débats de 1845 et de 1846, on demeure frappé de l’importance attachée par le ministère à une mission discrétionnaire qu’il était si facile de modifier et de l’attention apportée par la chambre des députés à un abus qui de loin semble peu important. N’est-ce pas pour nous un irrécusable témoignage de la situation de la magistrature en 1847 ? On n’avait rien à lui reprocher d’essentiel. — Un grief bien autrement grave était le nombre des magistrats faisant partie des chambres. Soixante et onze députés appartenaient à la magistrature, et sur quarante-neuf magistrats de la cour de cassation, quatorze siégeaient au Luxembourg et onze au Palais-Bourbon. Mais était-ce l’organisation judiciaire qu’il fallait accuser, alors qu’il eût suffi de voter une loi d’incompatibilité pour porter remède à cet abus ?