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Entre tous les malheurs qu’entraînent à leurs suites les révolutions inutiles il faut compter au premier rang cette lassitude qui s’empare de l’esprit des hommes et qui les dégoûte des plus sages progrès par crainte du changement. Après la fièvre d’innovation qui porte à tout remuer, tout modifier, tout bouleverser, vient l’abattement pendant lequel on se contente de vivre en attendant l’heure où on se fera gloire de servir. Au délire de six mois qui avait suivi la révolution de février succéda un singulier état de prostration. On était las d’agir ; les réformes judiciaires si sagement proposées par la commission de juin 1849 furent mises de côté : nul n’en demanda la discussion. Il semblait même que le mot de réforme fût écarté pour le punir du vilain rôle qu’il avait joué en servant de ralliement à l’émeute.

De son côté, la magistrature fit peu parler d’elle : elle était heureuse de la renaissance de l’ordre, se laissait aller à son horreur de l’anarchie et contribuait de tout son pouvoir à punir ceux qui tentaient par leurs actes ou leurs paroles de ramener le trouble dans la rue. Elle demeurait ainsi fidèle à cette mission sociale que M. Portails avait définie. Il y avait cependant des lois d’ordre politique dont les magistrats avaient reçu la garde. La constitution de 1848, en instituant une haute cour de justice pour châtier les crimes d’état, avait confié à la cour de cassation un pouvoir redoutable, dont elle devait s’armer, en certains cas, de sa propre initiative ; si le président de la république mettait obstacle à l’exercice du mandat de l’assemblée, s’il tentait de la dissoudre, les juges de la haute cour devaient se réunir immédiatement à peine de forfaiture (art. 68). En votant à la fin de la discussion sans débat presque sans examen cet article de la constitution, l’assemblée prévoyait-elle qu’elle instituait une des seules forces qui trois ans plus tard oserait lutter contre l’arbitraire au nom du droit ?

Le 2 décembre, Paris apprit en s’éveillant que des placards signés du président proclamaient la dissolution de l’assemblée législative. Les places publiques étaient pleines de troupes, le palais de l’assemblée gardé, les généraux et les principaux citoyens jetés en prison ; pendant que tous les hommes de cœur qui faisaient partie de l’assemblée se réunissaient à grand’peine à la mairie du Xe arrondissement et prolongeaient la résistance jusqu’au moment où la force, impuissante à les dissoudre, allait les emprisonner, le palais de justice, que nul des conjurés n’avait songé à faire occuper, voyait se réunir dans l’une des salles de la cour de cassation les cinq juges de la haute cour et leurs deux suppléans. Le crime de haute trahison prévu par l’article 68 de la constitution était flagrant, ils venaient accomplir simplement