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leur devoir. La haute cour déclara se constituer et, devant nommer en dehors de son sein un procureur-général, elle désigna le conseiller Renouard. L’arrêt multiplié par des presses à lithographier fut sur-le-champ répandu et affiché dans Paris. M. de Maupas, averti trop tard, se hâta de réparer son erreur. Trois commissaires de police, des officiers de paix et un détachement de gardes républicains, commandés par un lieutenant, envahirent la chambre du conseil où siégeait la haute cour et la sommèrent de se séparer, sous peine d’être dissoute par la force et ses membres emprisonnés. La cour protesta et déclara qu’elle ne céderait qu’à la violence. La troupe fit alors évacuer l’enceinte de la justice en chassant de la cour de cassation les sept magistrats fidèles à la loi. Ils se retirèrent chez leur président M. Hardouin et rédigèrent le procès-verbal des faits que nous venons de rapporter. Le lendemain 3 décembre à midi, la haute cour se réunit de nouveau au palais de justice. M. Renouard, auquel avait été notifié l’arrêt de la veille, fut introduit et déclara qu’il acceptait les fonctions de procureur-général. La cour lui donna acte de sa déclaration, puis on délibéra sur les moyens d’agir. Tous semblaient manquer à la fois : la force était armée contre les lois ; les masses étaient indifférentes ou hostiles. Les meilleurs citoyens qui auraient pu se mettre à leur tête étaient à Vincennes, au mont Valérien ou dans les cellules de Mazas. Il fallut s’ajourner : l’acte de courage des membres de la haute cour demeura isolé ; ce fut la protestation impuissante, mais non stérile, du droit vaincu. Il est bon de l’opposer aux défaillances qui ont suivi la victoire.


V

L’attachement aux garanties parlementaires, comme l’amour sincère de la liberté réglée, a été longtemps en France le privilège d’une élite. Il faut de longues années pour que les mœurs se forment. Tour à tour, dans notre siècle troublé, chaque parti, chaque intérêt est forcé de recourir à la liberté, comme à l’unique protectrice de ses droits, et ainsi s’accroît, par la faute même des gouvernemens, la base sur laquelle seront assises un jour les institutions libres. En 1848, de sanglantes insurrections ; en 1851, la terreur de l’anarchie avaient porté les coups les plus funestes au gouvernement du pays par lui-même. Le besoin de silence, de repos, d’ordre à tout prix, telles étaient les passions au nom desquelles agissait le président de la république. A la magistrature qui avait été menacée dans son existence pendant près de deux années, qui était chaque jour insultée par les écrivains ou les orateurs de la