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dans toute la France une sensation considérable : le droit se dressait et regardait en face l’arbitraire.

Malgré l’impuissance de la résistance judiciaire, bientôt brisée par le conseil d’état, il est permis de penser que le souvenir du jugement du tribunal de la Seine arrêta dans leur germe plus d’un acte illégal ; il enleva en tous cas au gouvernement le désir de se commettre avec la justice. Les occasions, il faut le dire, étaient assez rares. Juge et partie dans la plupart des cas, le pouvoir maintenait l’ordre, grâce aux moyens que la dictature lui avait fournis. La presse périodique, soumise au régime discrétionnaire des avertissemens, n’avait plus affaire aux tribunaux. Seul, le livre avait conservé l’honneur d’avoir encore des juges ; mais les imprimeurs, tenus en respect par le monopole du brevet, refusaient leur ministère. Ce refus d’imprimer formait la plus redoutable censure ; il était rare qu’un écrit de quelque importance vînt rompre le silence morne où se complaisait la nation.

De longues années s’écoulèrent ainsi ; il faut aller jusqu’à l’automne de 1858 pour rencontrer les indices d’un réveil que nous ne pouvons passer sous silence, car il eut une influence directe sur la magistrature. Le gouvernement, irrité d’un article de M. de Montalembert sur le parlement anglais, avait jugé de son intérêt de citer l’auteur devant le tribunal de la Seine. La poursuite avait fait grand bruit. Ceux qui, pressés dans la petite salle d’audience, ont pu entendre ce jour-là M. Berryer et M. Dufaure n’en perdront jamais la mémoire ; mais la condamnation fut sévère ; le tribunal infligea à celui qui avait osé prononcer les mots interdits de régime parlementaire, de contrôle et de liberté un emprisonnement de six mois. La répression satisfit le gouvernement, qui ne cherchait plus qu’à ajouter à la condamnation l’humiliation d’une grâce, lorsqu’un appel vint renouveler le débat et, contre toutes les prévisions du ministère, restreindre la peine à deux mois. Telle était la susceptibilité du gouvernement impérial que cet arrêt produisit l’effet d’une proclamation d’innocence. Les magistrats qui y avaient pris part étaient de mauvais esprits, presque des factieux : la cour était remplie d’hommes appartenant aux anciens partis ; avec elle, le gouvernement était livré à tous les hasards ; l’hostilité des anciens parlemens allait renaître, il fallait au plus vite porter remède à un tel mal. On ne pouvait hélas ! épurer la magistrature, — du moins nul n’osait le proposer, sept ans après la fondation de l’empire, — on se décida du moins à épurer une section de chaque compagnie pour former dans toutes les cours, comme dans tous les tribunaux, une chambre quasi-politique, où le gouvernement serait assuré de faire rendre une bonne et prompte justice. Depuis la chute de l’ancien