qu’à avoir des prévenances ou des petits soins, seront préférés, et l’homme qui sert bien l’état ne le sera pas. Les femmes ont toujours été ainsi faites et ont eu cet esprit dans tous les rangs. Tout le monde connaît la Leçon de Louis XIV… Ce roi, si faible cependant envers les femmes, s’apercevant que la duchesse de Bourgogne riait de la vilaine figure d’un militaire, lui dit : « Madame, vous avez tort ; cet homme est le plus bel homme de mon royaume, car il en est le plus brave. » Je te parle ici avec tout le désintéressement possible, car je ne veux d’autre préférence que la tienne ; or, dans la place où je suis, on est toujours préféré, parce que les femmes vous préfèrent uniquement parce que vous avez le pouvoir. Ainsi, qu’un général en chef soit vilain, soit heureux ou malheureux à la guerre, peu importe ; il est général en chef, cela est suffisant. Je sais bien, et par ton exemple même, qu’il y a des exceptions, mais ce sont des exceptions.
Voilà bien de l’érudition en pure perte ; je ne convertirai pas mon Aimée ; mais lorsque notre Bouton de rose[1] sera en âge d’être laissé à son père, le bon sens de mon amie l’abandonnera à mes soins… En attendant cet âge, mon Aimée, ne souffre pas qu’on l’amollisse, élève-le un peu durement, pour que les bivouacs ne lui paraissent pas si extraordinaires…
Hambourg, 16 février 1812.
Lorsque je t’ai annoncé que je redoutais pour mon fils l’éducation que tu pourrais lui donner, je n’ai pas eu l’intention de t’affliger, mais je t’ai exprimé ma conviction. Tu voudrais lui inspirer des idées sur ton sexe, sur les égards, les déférences qu’on lui doit qui n’en feraient qu’un homme fort ordinaire dans notre état. Je ne doute pas que cela ne lui valût du succès dans les cercles de femmes ; on dirait qu’il est bien plus aimable que son père, mais je doute fort que cet ascendant que ton sexe aurait sur lui le rendît bien propre à occuper dignement de grands emplois pour le service de son souverain. J’en appelle à ta conscience : certes, je t’estime plus que presque toutes les autres femmes : eh bien ! où en serais-je si tes propos avaient pu m’influencer dans différentes occasions ? Si tu m’avais communiqué ton humeur, dont je n’ai jamais pu connaître le motif, est-ce que cela n’eût point ralenti mon zèle et mon amour pour le service de l’empereur, qui seuls peuvent me soutenir dans le travail rebutant et l’isolement où je suis, et auquel je succomberais si, à chaque minute, je n’étais soutenu par l’amour de mes devoirs ! Ce sont peut-être des circonstances qui ne se présenteront plus qui m’ont fortifié dans mes opinions. Mes inquiétudes sur l’éducation de mes enfans ne s’étendent pas sur nos filles ;
- ↑ Louis, second fils du maréchal, avait été surnommé par ses parens Bouton de rose en souvenir de la mélancolique anecdote que nous avons rapportée plus haut.