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je sais qu’elles seront bien élevées par toi, que leur éducation sera d’autant meilleure qu’elles auront sous les yeux la conduite de leur mère.


Hambourg, 21 février 1812.

Nous avons bien de la peine à nous entendre, mon amie. Je ne prétends pas élever notre petit Louis dans une mauvaise idée des femmes : à Dieu ne plaise ! mais je ne négligerai rien pour qu’elles ne puissent avoir aucune influence sur lui. Je ne crois pas être malhonnête envers ton sexe : tu as même fait la remarque que j’avais plus de procédés vis-à-vis de lui que la plupart des hommes ; mais je me suis toujours défendu de me laisser influencer par lui. Parcours notre histoire de France, et j’aime à croire que tu partageras mon opinion. Certes les femmes avaient bien de l’esprit, et un ton parfait, sous la régence d’Anne d’Autriche ; malheureusement elles n’avaient que trop d’esprit, et, pour des querelles de vanité, elles ont soufflé le feu de la discorde et été en grande partie la cause des troubles du temps. On cite encore un des grands seigneurs qui s’est jeté dans le parti contraire au roi pour les beaux yeux d’une femme. Ayant perdu un œil à la bataille Saint-Antoine, il se présenta le soir du combat chez elle, et pour la toucher, il lui dit que pour l’amour d’elle, en faisant la guerre au roi, il a perdu un œil, mais que pour le même motif il l’eût faite aux dieux. Vois de nos jours le sort des pays où les femmes ont une grande influence. La Prusse a été perdue par elles, et deux fois l’Autriche, encore par les femmes, a été poussée à la guerre. Tout cela n’est point écrit pour contrarier te » idées, mais pour justifier les miennes. Si toutes te ressemblaient, toutes seraient de bonnes mères de famille, et cela vaut bien ces petites réputations du moment acquises souvent aux dépens de ses devoirs.


Le stoïcisme, venons-nous de dire, faisait le fond de l’être de Davout. En effet, on en remarque en lui les germes dès un âge si tendre, qu’on est autorisé à avancer cette assertion ; il faut cependant s’entendre sur ce point. On aura certainement remarqué dans les lettres qui précèdent que la fermeté des principes ne nuit en rien à la tendresse des sentimens. Davout sait rester inflexible sur le sujet le plus chatouilleux pour les ambitions innées du cœur féminin, sans que cette inflexibilité affecte aucun caractère tranchant et puisse blesser celle dont il nie résolument les privilèges traditionnels. Un tel art des ménagemens n’existe pas à ce degré de délicatesse chez les stoïciens de nature, qui sont d’ordinaire d’un dogmatisme plus absolu et se distinguent rarement d’ailleurs par ces ardeurs amoureuses qui sont si puissantes chez Davout. Il faudrait donc en conclure que ce stoïcisme était plutôt acquis que