parade, même amour de la discipline, et, ce qui est plus extraordinaire, même manière d’entendre la guerre et de se renfermer avec fermeté dans les lois strictes qu’elle impose sans les exagérer ni les amoindrir. Voilà pour les traits de caractère ; quant au roman même de Mohély, il n’est pas non plus sans offrir plus d’une analogie avec l’histoire de Davout. Mohély est au service d’un conquérant indien que Boufflers nomme le grand Ackbar et dans lequel il n’est pas difficile de reconnaître Napoléon. Enfant, il avait été exactement ce que fut Davout bambin au rapport de sa mère, c’est-à-dire faisant grand tapage avec grand sang-froid, avec cela le fils le plus respectueux et le plus soumis. Il est présenté comme le fils d’un derviche qui l’avait maudit dans sa jeunesse pour son trop d’ardeur à chasser, malgré sa défense, les bêtes féroces, et s’était repenti plus tard de sa malédiction ; ici l’analogie cesse d’être claire, mais si l’on ne perd pas de vue que ce conte est écrit en plein empire par un ex-émigré d’opinions assez flottantes, il n’est pas impossible que ce derviche ne soit là pour représenter l’ancienne société française à laquelle appartenait Davout par sa naissance et dont il s’était si nettement séparé à l’époque de la révolution. Il est évident qu’en écrivant ce conte Boufflers avait dans l’esprit un certain type militaire qu’il a voulu présenter comme l’idéal du soldat, par opposition au type bruyant et fanfaron qui était traditionnellement plus en faveur. Est-ce Davout qui, sans le savoir, a posé pour cet idéal du vieux Boufflers, ou cette rencontre est-elle fortuite ? Ce qui nous persuade qu’elle ne l’est pas, c’est que, outre toutes les analogies que nous avons signalées, on retrouve textuellement dans ce conte quelques-unes des formules militaires les plus caractéristiques de Davout et qu’il se plaît à répéter le plus fréquemment, celle-ci par exemple : faire à l’ennemi tout le mal nécessaire, mais ne lui faire que le mal nécessaire, et réprimer impitoyablement tout, mal qui n’aurait pas pour but unique le succès de la guerre. C’est cette règle, toujours présente à l’esprit de Davout, qui a dirigé toute sa carrière militaire, que nous le voyons appliquer dans ses gouvernemens de Pologne et de Hambourg avec une invariable fermeté, et regretter de ne pas trouver suivie dans la campagne de Russie, où elle aurait prévenu les désordres qui, dès les premiers mouvemens de la grande armée, marquèrent cette colossale entreprise. Voici enfin une dernière raison qui, venant après toutes les autres, paraîtra peut-être décisive. Mohély, qui garde toujours son visage voilé pour cacher une certaine blessure gagnée un jour qu’il a sauvé la vie de son souverain et empêcher ainsi par modestie que l’auteur de cet acte ne soit découvert, est représenté par Boufflers comme un héros méconnu, victime de ses hautes qualités et que son trop grand amour du silence laisse dans une sorte d’infériorité ; c’est
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