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Anglais et suscitée par quelques ambitieux qui sacrifient à leurs passions religion et patrie. J’ai l’honneur, etc.

signé : CÉSAR DE LA VILLE.


Ratzbourg, 12 septembre 1813.

Je t’envoie, ainsi que je te l’ai annoncé, la traduction de cette lettre du général suédois et copie de la réponse que je lui ai fait faire, le tout pour toi seule. Chaque jour de mon existence avec toi m’a donné la conviction de ta discrétion et du prix que tu attaches à ce que je t’apprécie sous ce rapport. Ne vois pas dans les derniers mots de la réponse l’expression d’un sentiment ou d’une passion personnels. Je ne suis pas plus exempt de petites passions que les autres hommes ; mais je les combats avec bien du soin, et dans cette circonstance, si j’ai signalé ce misérable Bernadotte, c’est par la conviction où je suis qu’il est un des artisans de la guerre actuelle. Je me rends la justice que je n’ai jamais consulté mes affections particulières lorsqu’il a été question de mon souverain. Je n’ai jamais eu contre cet homme le moindre fiel ; je l’ai méprisé, lorsque j’ai eu connaissance — et des preuves — de son excessive vanité et qu’il n’avait que l’apparence des bonnes qualités. Tous les coups de canon qu’il fait tirer contre l’empereur et les Français sont autant de titres qu’il acquiert au mépris de la postérité. Cet homme doit tout à l’empereur et au sang des Français ; l’empereur a exercé envers lui les plus grands actes de clémence ; — cela ajoute à l’infamie de sa conduite ; j’espère que la justice divine se montrera sévère à son égard.


Une seule expression de cette terrible haine ne lui suffit pas ; il y revient à plusieurs reprises, et chaque fois pour l’accentuer davantage. Sur la fin de ce même mois de septembre 1813, le bruit d’une déroute du prince de Suède courut à Paris, sur quoi la maréchale fait part à son mari de cette petite scène d’intérieur où se reflètent d’une manière significative les passions du temps. « Léonie (la fille cadette de Davout), entendant dire que le prince de Suède a été battu complètement, a dit : « Il a trahi l’empereur, qui lui a fait tant de bien : il faudrait le pendre ! — Mais pourquoi ne veux-tu pas qu’il meure d’un boulet ? — Parce qu’il y a trop de braves qui meurent comme cela ! » À ce mot de sa fille, Davout répond par ce commentaire fort bref, mais d’une inexorable précision : « Les réflexions de Léonie m’ont fait plaisir. Elle a exprimé une idée juste : un traître ne devrait finir, — quel que soit son rang, — que par la main du bourreau et non de la mort des braves. »


ÉMILE MONTEGUT.