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la tentative passablement ridicule qu’il avait faite pour transformer en un port de commerce, le petit village de Versoix, situé sur les bords du lac de Genève, dénotait de sa part des intentions peu bienveillantes. Sur ces entrefaites, le représentant de la république de Genève à la cour de France vint à mourir, et le Magnifique Petit Conseil ne crut, dans des circonstances aussi délicates, pouvoir faire un choix plus habile que celui d’un homme tenant à Paris, depuis plusieurs années déjà, un grand état de maison et pouvant y représenter la république avec un certain éclat. Aussi, après avoir fait pressentir les dispositions de M. Necker et avoir reçu une réponse favorable, le Magnifique Petit Conseil s’empressa de lui notifier sa nomination par une lettre dont la forme pompeuse et toute monarchique était celle habituellement employée dans les communications officielles de la république :


Très cher et féal,

Le zèle que nous vous connoissons pour le service de la patrie nous a fait espérer que vous accepteriés la place de notre ministre à la cour de France, à laquelle nous vous avons appelle. Nous avons vu avec une rare satisfaction, par votre lettre du 23 de ce mois, que vos sentimens répondent parfaitement à l’opinion que nous avons de vous. Nous vous donnons cette marque de confiance avec d’autant plus de plaisir que votre capacité vous a déjà mérité des marques bien flatteuses de l’approbation de Sa Majesté… Nous ne doutons point qu’à l’exemple des généreux citoiens, qui ont servi si utilement la république dans la place que vous allés occuper, vous ne négligerez rien pour nous conserver la bienveillance du roi, qui nous a été si précieuse et si honorable que c’est le but principal que nous poursuivons en ayant un ministre à sa cour. Nous sommes persuadés que nous remettons les intérêts de la patrie en de très bonnes mains.

Sur ce nous prions Dieu, très cher et féal, qu’il vous ait en sa sainte garde,

Les sindics et conseil de Genève,
Lullin.

31 aoust 1768.


À cette lettre M. Necker répondit en témoignant aux « Magnifiques et très honorés seigneurs, membres du Petit Conseil, sa sensibilité pour l’honneur qui lui était fait » et en demandant l’indulgence « pour ses talens. » Quelques jours après, il rendait compte au conseil de sa présentation au roi et il faisait sa première apparition à Versailles.