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sentimens du Conseil, la satisfaction de ses services, et qu’il n’a point eu d’autre motif de l’envoi de M. Cramer à Paris que ce qu’il a marqué lui-même de l’état de sa santé. » Ainsi, dans cet imbroglio diplomatique d’où le pauvre Cramer (qui craignait tant les sobriquets) remporta celui de renvoyé de France, M. Necker avait fait preuve de plus d’adresse dans le maniement des hommes qu’il n’en devait déployer dans d’autres circonstances. L’avantage était resté tout entier de son côté, et il avouait, au tout de bien des années, que de tous les souvenirs de sa carrière publique, celui de cette première passe d’armes lui était le plus agréable.

Quelques années après, M. Necker vit le duc de Choiseul succomber sous la cabale de Mme du Barry, et il put ainsi faire avec les intrigues de cour une première connaissance que les événemens devaient rendre plus ample. Sa situation diplomatique ne lui permit pas d’être au nombre de ceux qui allèrent rendre visite au ministre disgracié, dans son glorieux exil de Chanteloup, mais il conserva longtemps avec le duc et la duchesse de Choiseul d’affectueux rapports. J’anticiperai un peu sur l’ordre des temps, en insérant ici deux lettres de l’aimable duchesse, que l’imagination prend involontairement pour type des grâces aristocratiques d’autrefois, en oubliant qu’elle était la fille d’un gros financier. La première de ces lettres n’est qu’un simple billet, mais agréablement tourné, par lequel elle remercie M. Necker de l’envoi du Compte-rendu :


Ce lundy.

Je l’ai lu, monsieur, ce Compte-rendu, et ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que je crois l’avoir entendu. Puisque je crois l’avoir entendu, vous pensés qu’il m’a charmé, et vous ne devés pas douter que je ne vous sois maniement obligée et du plaisir qu’il m’a fait et de l’attention que vous avez eue de me l’envoyer.

À propos, vous êtes un coquet dans tout le bien que vous dites de la nation ; je ne doute pas que cette coqueterie ne vous réussisse auprès d’elle, car elle vous a très bien réussi auprès de moi. Je croirois aussi qu’une de vos notes est une coqueterie pour M. de Choiseul.


Quelques mois après la publication du Compte-rendu, M. Necker tombait brusquement en disgrâce. Aussitôt que la nouvelle de sa retraite arrivait à Chanteloup, la duchesse de Choiseul s’empressait de témoigner à M. Necker la part qu’elle prenait à cet événement :