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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/820

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dans l’attitude que nous lui connaissons déjà : Marmontel obséquieux, Diderot déclamateur, Grimm flatteur avec adresse. Chez Marmontel l’enthousiasme tient du délire :


Enfin nous y voilà, écrit-il à Mme Necker. Ce n’est plus seulement M. Necker qui se comble de gloire ; c’est le roi. Ce ne sont plus les vues confuses d’économie et les moyens éparpillés qu’on se proposoit avant ce ministère et qui se trouvèrent aussi impraticables qu’ils étoient minutieux, et vains. C’est un plan solide et vaste qui embrasse tout et met tout au niveau. C’est une marche ferme et sûre qui va au but en ligne droite. C’est un procédé géométrique appliqué à l’économie. Dans ce nouvel ordre de choses, rien n’est timide et rien n’est hazardé. Au lieu de ces mots en usage : car tel est notre bon plaisir, le roi pourrait écrire : car telle est la raison éternelle et la règle universelle des choses.


Ce ne sont pas seulement des cris d’admiration que lui arrache la lecture manuscrite du Compte-rendu : ce sont des larmes qui coulent de ses yeux et qui baignent son visage. Il croit voir Hercule armé de sa massue pour écraser l’hydre de la calomnie, ou plutôt (car cette image ne convient point à la modération et à la modestie de M. Necker) le Saint Michel de Raphaël tenant sous ses pieds le dragon. Il donne ses avis sur tout, sur la régie des domaines, sur la comptabilité de la marine. A force de parler finances, la fièvre le gagne, et il envoie à Mme Necker tout un projet de son cru avec le billet suivant :


Ce vendredi matin.

Je ne rêve plus que finances, madame, et M. Necker n’en est pas plus occupé que moi. Ce n’est pas que je sois devenu meilleur citoyen ; mais l’intérêt de l’amitié se joint à celui du patriotisme. Je viens d’écrire à la hâte ma rêverie de ce matin. Ayez la bonté de la lire, et si vous ne trouvez pas cela trop commun, ou trop peu pensé, vous la jetterez à M. Necker, en lui disant : Tiens, voilà ce pauvre homme qui devient fou par amitié pour nous.

J’espère bien, madame, avoir l’honneur de diner avec vous ; mais je n’ai pas voulu tarder à vous prouver que ma première pensée, à mon réveil, a été pour ce qui vous interesse le plus au monde, impatient de vous apprendre non ce que j’ai rêvé, mais à qui j’ai rêvé.


Diderot ne se prodigue pas autant, car il est moins de la maison. Entre temps, il ne néglige pas cependant d’assurer le sort de son gendre qu’il recommande pour un emploi à la bienveillance de M. Necker, et de solliciter l’envoi de la petite brochure où Mme Necker