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et qui ne se trouve mis en présence du poison. Nous devons ajouter qu’aucun n’est indifférent à cette rencontre.

C’est, en effet, une vérité de doctrine extrêmement importante, établie par Cl. Bernard, que la substance anesthésique est capable d’agir sur tous les élémens organiques sans exception. Les preuves expérimentales abondent. Le cœur détaché du corps de la grenouille et de la tortue peut continuer de battre pendant deux jours et plus avec le même rythme régulier ; mais si des vapeurs d’éther sont répandues dans l’enceinte où on le conserve, il cesse ses battemens et s’endort pour les reprendre dès que l’éther sera écarté. On sait encore qu’à la surface de certaines membranes sont implantés des poils infiniment grêles et perpétuellement mobiles, que l’on nomme des cils vibratiles. On peut détacher du corps de l’animal un fragment de membrane de ce genre, par exemple de l’œsophage de la grenouille, et s’assurer par divers artifices que l’actif mouvement des cils persiste. Par leurs efforts combinés, des corps assez lourds, des grains de plomb déposés sur le fragment posé à plat sont charriés d’un bord à l’autre. Le contact des vapeurs anesthésiantes arrête cette agitation et en fait tomber les instrumens dans un repos passager. L’éther agit sur les animalcules réviviscens comme la dessiccation même. On sait que, si l’on considère, par exemple, les anguillules qui produisent la nielle du blé, on peut en les desséchant les conserver pendant des années, inertes, sortes de momies vivantes qu’une goutte d’eau ressuscitera à la volonté du naturaliste ; mais si on les humecte avec de l’eau éthérisée, la reviviscence n’aura point lieu : elle tardera jusqu’au moment où cette eau engourdissante sera remplacée par de l’eau ordinaire. Les plantes elles-mêmes subissent l’action des anesthésiques. On connaît les curieux mouvemens de la sensitive, ce végétal hystérique qui se pâme au moindre attouchement, repliant ses folioles les unes contre les autres, comme un livre que l’on fermerait, et abaissant le pétiole commun qui les supporte. Qu’on la place sous une cloche avec une éponge imbibée d’éther, et bientôt elle aura perdu toute sensibilité : on pourra impunément toucher, froisser, déchirer ses feuilles, les brûler même, la sensitive endormie ne réagira plus, jusqu’au moment où l’on aura éloigné la vapeur engourdissante.

La sensibilité et la motilité ne sont pas les seules fonctions abolies par l’éther dans. les animaux et dans les plantes ; la vie végétative n’est pas mieux épargnée. Que l’on prenne des graines d’orge, de cresson en pleine germination et qu’on les expose aux émanations de l’éther ou du chloroforme, le travail du développement s’arrête, l’activité cesse, et la graine tombe au repos pour aussi longtemps que l’on voudra maintenir le contact du poison : la marche reprend et la vie renaît dès que l’agent anesthésique est