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il fait, mais beaucoup plus rapidement, le même chemin que son père. Il arrive, très jeune encore, à être membre du gouvernement et conseiller privé : on s’accorde à croire qu’il sera membre du cabinet dès qu’il aura quelques années de plus ; on reconnaît même chez lui l’étoffe d’un premier ministre. Il a épousé une femme ravissante, mais éprise de luxe, plus éprise encore des grandeurs. L’élévation de son mari est sa principale et plus constante préoccupation ; pour y concourir, elle veut faire de sa maison le rendez-vous de tout ce qui compte à Londres par le rang, la richesse et l’influence. Nulle grande dame ne donnera des dîners plus exquis ou des soirées plus brillantes, nulle n’aura des équipages mieux tenus, nulle n’étalera des toilettes plus somptueuses et de meilleur goût. Elle devient la reine du parti tory, l’arbitre suprême de la mode, le modèle et le désespoir de toutes les jolies femmes ; mais la fortune et le traitement de son mari, la dot qu’elle-même a apportée et jusqu’aux économies et à l’héritage du vieux Ferrars, tout est dévoré à soutenir ce luxe qui épuiserait les plus grandes fortunes. Qu’importe si l’on atteint le but ? quelques années de puissance suffiront à tout réparer ; mais, au lieu de la fortune qu’on attend et qu’on espère, c’est l’adversité qui vient frapper à la porte.

Ferrars est demeuré un tory de la vieille roche ; il est l’adversaire déterminé de la réforme parlementaire, mais ni son éloquence, ni les efforts de la duchesse Zénobie, ni l’influence de lord Wellington, ni la résistance de la cour, ne peuvent prévenir une défaite devenue inévitable. La réforme triomphe, et les whigs arrivent au pouvoir. Adieu le portefeuille de Ferrars, adieu la résidence officielle et les larges émolumens du pouvoir, adieu le siège parlementaire et la vie politique, car le bourg-pourri que l’ex-ministre représentait est au nombre de ceux que l’on supprime. Comme le dit un des personnages, William Ferrars « n’a point de racines dans le sol, » il n’a pas de possession territoriale qui lui donne de l’influence dans un comté ; il ne peut songer davantage à un bourg, parce qu’il est hors d’état de faire face aux énormes dépenses qu’entraîne toute lutte électorale. Tout manque donc à la fois à cet homme qui semblait appelé à une destinée si brillante ; il lui faut faire connaître l’affreuse réalité à sa femme, à qui sa faiblesse avait caché l’étendue du gouffre qui s’ouvrait sous leurs pieds. Il faut dire adieu au monde, il faut quitter Londres ; on vend les diamans, les équipages, les chevaux, tous les accessoires d’un luxe désormais interdit ; on loue en province, dans un coin du Berkshire, un vieux manoir où l’on pourra vivre avec économie, où l’on se consacrera à l’éducation des enfans, deux jumeaux, un fils et une fille, Endymion et Myra. Ferrars emploie à écrire en faveur de ses