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enthousiasme que Mozart écrivit à son intention un quintette (adagio et rondo) pour harmonica, flûte, hautbois, violon et violoncelle. La diva se nommait Marianna Kirchgessner ; elle était aveugle, ce qui ne la rendait que plus intéressante. Les belles dames de la cour de Marie-Thérèse l’accablaient d’hommages épistolaires rédigés dans le pathos du temps, par exemple le billet qu’on va lire et qui accompagnait un service en vermeil pour le chocolat : « Votre âme, pure et suave comme l’instrument céleste dont votre main touche si divinement, — votre âme ineffable a captivé la mienne, et croyez que chaque fois que vous daignerez approcher vos lèvres de l’une de ces tasses, je me sentirai ravir d’aise. » Les plus fameux romans de cette période : Hesperus, Titan » Quintus Fixlein, sont pleins des nostalgiques vibrations de l’harmonica que Jean-Paul définit « le zéphir du monde de la résonance,  » et quand la Marianna Kirchgessner mourut, en 1808, un compositeur de renom, W.-J. Tomaschek, de Prague, se conformant au deuil universel, traduisit son émotion par une cantate pour l’harmonica, déposée sur le mausolée de Marianna Kirchgessner. Quelles modifications a dû subir depuis ce temps l’instrument de Franklin et comment les clochettes de cristal ont fini par devenir des touches métalliques, il faudrait tout un gros livre pour le dire et tout un dictionnaire pour enregistrer tous les noms attribués à ces multiples, dérivés du premier type : harmonicorde-Müller, harmonicon-Buschmann, panmelodicon-Leppich et, finalement, typophone-Mustel. J’allais oublier la boîte à musique Mälzel, très recherchée à Vienne en 1790, mécanique à spectacle exécutant des airs variés de Haydn et de Wenzel-Müller, pendant qu’au dehors, sur une peau de tambour à grelots, évoluait, valsait, frétillait et tourbillonnait tout un monde de marionnettes : déesses et nymphes en vertugadin, Tircis en taffetas vert pomme, pastoureaux et pastourelles, sylphides et kobolds, qui sait ? la Korrigane en miniature.

Le ballet, du reste, bat son plein en ce moment. Le bruit courait hier d’une prochaine reprise de Giselle. Reprendre Giselle, soit, mais avec qui ? Pas avec la Rosita Mauri, je suppose. Talent nerveux, sémillant, chatoyant, talent-diamant, tout phosphore et tout diable au corps, la charmante Espagnole ne se doute pas de ce que c’est que la pantomime ; sa figuration de Fenella dans la Muette nous l’a trop démontré, et c’est un ballet de style que Giselle, où les souvenirs et les traditions de Carlotta Grisi vivent encore. Laissons monter la folle mousse, mais le quart d’heure d’engoûment passé, il faudra pourtant qu’on songe à pourvoir au nécessaire. Les journaux ne nous entretiennent que des examens de la danse, tous brillans, tous éblouissans, à ce qu’ils racontent ; tous les résultats, au bout du compte, quels sont-ils ? Où voyons-nous des sujets pour remplir les grands emplois du répertoire, pour mimer et danser le pas de l’abbesse au troisième acte de Robert le Diable ?