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Laure Fonta, dit-on, prend sa retraite ; elle partie, faudra-t-il renoncer à voir convenablement interpréter cet admirable épisode, un chef-d’œuvre, sinon le chef-d’œuvre de l’art chorégraphique et de l’art musical associés et combinés ensemble ?

Ce n’est point quitter l’Opéra que de dire un mot du récent triomphe de M. Halanzier, appelé par le suffrage des artistes dramatiques à succéder au baron Taylor dans la présidence de leur société. Tandis que d’autres briguent les honneurs municipaux, et lorsque le suffrage universel leur tient rigueur, se font gloire d’endosser, faute de mieux, l’habit à palmes vertes d’académicien in partibus, l’ancien directeur de l’Académie nationale, plus sérieux, vient de recevoir, sans l’avoir recherchée, la vraiment digne récompense d’une vie toute de travail et d’honorabilité. Les compétitions rivales pourtant ne manquaient pas ; il y eut même certains petits froissemens d’amour-propre ; mais tout cela s’est effacé devant les mérites et l’autorité d’un candidat que la voix publique avait d’avance désigné, et les récalcitrans n’ont pas tardé à reconnaître que, dans ce poste consacré par d’illustres précédens, il fallait un administrateur éprouvé, un homme libre de sa fortune et de son temps ; bref, un calculateur plutôt qu’un danseur, ce qui, pour une fois du moins, fera mentir le proverbe de Beaumarchais.

Nous voudrions aussi pouvoir parler de M. Reber, qui vient de mourir. Domi mansit, lanam fecit. En d’autres termes, il cacha son existence et composa de la musique. Écrire sagement et correctement des symphonies bien pondérées que le Conservatoire joue une fois en quarante ans, et que Pasdeloup délaisse pour courir après les comètes échevelées, la belle avance ! C’était un maître pourtant, mais attardé, dépaysé ; les dieux qu’il servait exclusivement n’étaient plus les seuls que nous adorions aujourd’hui ; le siècle va s’élargissant et veut des Panihéons, il n’avait, lui, qu’une chapelle et ne s’y trouvait jamais assez à l’étroit. Haydn, Mozart ! en dehors de ce doux et silencieux commerce, il ne demandait rien. Ingres, son vieil ami, si absorbé qu’il fût dans Raphaël, admettait encore Beethoven et s’arrangeait de manière à le glisser parmi les héros de son apothéose, mais pour, ce puriste et ce puritain, pour cet invétéré quaker de la musique, c’eût été là tout simplement du luxe. Cousin se vantait un jour devant nous de n’avoir jamais écrit une ligne «  que cette grande langue du XVIIe siècle n’eût pu reconnaître pour sienne ; » ce qui, déclarons-le, chez un prosateur du XIXe siècle nous paraissait un surprenant aveu d’impuissance. M. Reber avait cette superstition à l’égard de Haydn, auquel, à certaines heures de grand concert, il adjoignait l’auteur des Deux Journées ; volontiers alors se fût-il écrié, en empruntant aux Rohan leur devise : « Cherubini ne puis, Clapisson ne daigne, Reber suis. » Et certainement que, parlant de la sorte, il aurait eu raison. Ses