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voulons pas le contester. Mais ce n’est pas une question de budget et pour satisfaire une passion de parti, on s’engage dans une voie vraiment étrange où tout est contradiction et incohérence. Qu’est-ce à dire ? Ces congrégations qu’on poursuit, elles ont été déclarées dissoutes, dispersées ou expulsées, peu importe le mot ; elles sont dans tous les cas considérées comme ayant cessé d’exister, comme n’ayant plus même de domicile, et tout d’un coup on les rend à la vie, on les remet sur pied pour se donner le plaisir de les mettre à contribution avec des raffinemens particuliers de fiscalité ! Ce n’est pas tout ; on a l’air de ne proposer que des mesures simplement financières, — « c’est en définitive tout ce que permet le budget, — et par le fait ces mesures touchent au droit civil, au code de commerce, au code de procédure, Elles modifient par voie indirecte et sommaire, par un vrai subterfuge, toute une partie de la législation pour atteindre les communautés religieuses sous la forme civile qu’elles se sont donnée. Le dernier mot du système, et M. Henri Brisson n’a point hésité à l’avouer, serait la dépossession complète et définitive des ordres religieux. au nom et au profit de l’état. M. le président de la commission du budget a manqué de logique en s’arrêtant en chemin, en n’allant pas jusqu’au bout de la proposition qu’il avait dans l’esprit. Pour le moment, il s’est contenté de ses sept articles, de son petit code fiscal qui ne laisse pas d’être savamment combiné.

La chambre des députés, bien entendu, a tout voté, et c’est à peine si elle a accepté une légère modification du texte qui tendait à la sauver de cette inconséquence de paraître imposer des corporations qu’elle prétend ne pas reconnaître ; mais que va faire maintenant le sénat, tardivement saisi de si étranges propositions ? Il n’est point assurément impossible que les articles votés par la chambre ne trouvent au Luxembourg un accueil assez froid. Il est même vraisemblable que le sénat, malgré toute sa longanimité, s’arrêtera devant des fantaisies qui constituent de véritables dérogations au droit civil, au droit public. Il peut encore passer condamnation sur un crédit qu’on lin’ renverra ; il ne peut vraiment pas rendre silencieusement les armes dans une question où de si graves principes sont engagés d’une manière détournée et subreptice, où toutes les conditions législatives sont méconnues. Ainsi, à la dernière extrémité, par emportement ou par une excentricité d’omnipotence, les chefs de la majorité républicaine de la chambre des députés ne craignent pas de provoquer gratuitement un conflit parlementaire dont l’effet serait forcément de laisser en suspens la loi des finances à la veille de la fin de l’année ! Dés que leur passion est enjeu, ils se moquent du conflit, un peu du sénat, et, au risque de se mettre au-dessus de toutes les règles constitutionnelles, ils ne trouvent rien de plus commode que de faire du budget lui-même un instrument de