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faiblesses, une cause générale qui précipite notre marche, déplace peu à peu l’axe du pouvoir et qui, en dehors des fluctuations ou des violences des partis, modifie peu à peu, à l’aide du suffrage, l’état de la société française.

Le mouvement démocratique est un fait universel. Dans tous les pays civilisés, la capacité électorale s’abaisse rapidement. A calculer chez nos voisins la vitesse de la progression, il est permis de pressentir que la Belgique, l’Italie, l’Angleterre connaîtront, avant qu’une génération se soit écoulée, quelques-unes des difficultés que nous abordons aujourd’hui.

Ce mouvement est plus ou moins favorisé par les constitutions politiques ; mais il est à noter que, parmi toutes celles que nous avons essayées, aucune ne l’a arrêté. M. Royer-Collard constatait que la démocratie coulait à pleins bords en un temps qui semble l’âge aristocratique de notre siècle. L’empire, — gouvernement de réaction contre la république, qui avait primitivement établi le suffrage universel, — l’empire l’a rétabli et a accordé aux ouvriers des faveurs que des régimes libéraux leur avaient refusées. Il semble donc qu’au-dessus des volontés et des prudences humaines, une loi commune qui ne connaît ni nationalités, ni frontières, donne aux races anglo-saxonnes, latines ou germaniques, une impulsion qui porte les plus humbles à revendiquer une part croissante dans le maniement des affaires publiques. — Assurément la république est une des formes constitutionnelles de cette ascension des classes inférieures, mais elle est elle-même une conséquence et non une cause. Ce fait est si vrai que nul n’a l’illusion de croire que la monarchie, si elle était restaurée, pût un seul instant arrêter un mouvement que les monarchies de l’Europe sont forcées de subir et que ni les deux royautés, ni l’empire dans toute sa force n’ont pu enrayer.

Qu’on observe avec satisfaction ou avec inquiétude cette transformation de nos sociétés, qu’on l’appelle de ses vœux ou qu’on la redoute comme une action mystérieuse, il faut en connaître la nature : la prudence la plus simple nous commande d’observer la démocratie, ses mœurs et ses effets. L’obligation est d’autant plus étroite que partout elle prétend agir sur le pouvoir judiciaire : elle le trouve si intimement mêlé aux sentimens et aux besoins du peuple qu’elle annonce l’intention de le modeler à sa guise. Ceux qui osent parler en son nom assurent qu’elle est résolue à asservir le magistrat comme elle a asservi le fonctionnaire ou le député. A-t-elle donc partout amené avec elle l’oppression ? Nous ne sommes pas les premiers qu’atteint dans le monde le flot démocratique ; qui nous dira ce qu’il a fait ailleurs ? Ainsi que des colons menacés par un débordement subit et qui envoient demander aux anciens