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du concile de Nicée, à la place duquel les ariens voulaient l’homoiousios. Ils étaient hérétiques pour ne s’écarter de la foi que d’un iota. O miseras hominum mentes ! » L’heureuse invention que d’Alembert a trouvée là ! Comme si par hasard, à ce compte, un honnête homme aussi différait d’un malhonnête homme autrement que d’une syllabe, ou le juste encore de l’injuste, ou la loyauté de la déloyauté ? Mais quiconque voudra bien prendre la peine de réfléchir accordera sans hésiter que la morale à déduire ne sera pas tout à fait la même selon que Jésus-Christ ne sera qu’un homme, ou qu’il ne sera qu’un Dieu, ou qu’il sera l’homme-Dieu. S’il n’est qu’un homme, il devient impossible de tirer de son appauvrissement et de son anéantissement, comme disent les orateurs chrétiens, la leçon d’humilité qu’on en tire, et c’est l’orgueil qui devient une vertu ; s’il n’est qu’un Dieu, il devient impossible de nous le proposer en exemple et de le donner en imitation quotidienne à notre faiblesse : il n’y a donc plus de morale chrétienne, ou il faut qu’il soit l’homme-Dieu.

Disons enfin, en troisième lieu, que toute religion positive, de quelque nom qu’on l’appelle, — judaïque, mahométane, protestante ou bouddhiste, — comporte des observances, des « œuvres, » comme on les appelle, inhérentes au dogme, et qui tombent au rang de pratiques superstitieuses, machinales, dangereuses même parfois, dès que le dogme n’est plus là pour les soutenir en quelque sorte, et pour les maintenir dans le sens de leur institution.

Or, c’est précisément tout cela que l’on chercherait en vain dans les sermons de Massillon. Que sa prédication soit rigoureusement conforme à la saine doctrine de l’église, je n’ai garde d’y contredire ; je dis seulement que Massillon ne se préoccupe guère de me démontrer cette conformité. Moraliste, il eut pu prêcher dans l’école d’Athènes aussi bien que dans la chapelle de Versailles. Et encore ses leçons y eussent-elles paru bien faibles de doctrine. Voyez-le par exemple aborder la difficile matière de la Vérité de la religion. Non-seulement il ne va pas exiger d’abord, comme Bossuet, l’entière sujétion de la raison, mais encore il va compromettre la solidité des argumens au nom desquels Bossuet exigeait cette sujétion même. « Hommes doctes et curieux, s’écriait Bossuet avec son impétueuse familiarité, pour Dieu ! ne pensez pas être les seuls hommes, et que toute la sagesse soit dans votre esprit… Vous qui voulez pénétrer les secrets de Dieu ! çà, paraissez, venez en présence, développez-nous les énigmes de la nature, choisissez ou ce qui est loin, ou ce qui est près, ou ce qui est à vos pieds, ou ce qui est bien haut suspendu sur vos têtes ! Quoi ! partout votre raison demeure arrêtée ! partout, ou elle gauchît,