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cherché ce passage dans les sermons de Massillon, écrivit-il. Il n’est pas certainement dans l’édition que j’ai. J’ose même dire plus : il n’est pas de son style[1]. » Il est probable que Voltaire mentait, comme à son ordinaire, car dans les éditions subreptices aussi bien que dans l’édition authentique donnée par le père Joseph Massillon, neveu du prédicateur, en 1745, le passage est au long, sauf quelques corrections insignifiantes. Il va sans dire qu’il n’a pas la portée que lui prête l’auteur du roman. Mais en est-il moins curieux de voir Voltaire si jaloux de la gloire de Massillon qu’il mente pour la soutenir, et sciemment, et contre un écrivailleur d’impiétés[2] ?

Toutes ces fluctuations, et l’on pourrait dire toutes ces contradictions de la morale de Massillon, d’où viennent-elles ? Uniquement de l’abandon qu’il a cru devoir faire à l’esprit de son siècle de la prédication du dogme.

Il ne nous appartient ni d’approfondir ni d’effleurer seulement la question des rapports de la morale avec le dogme. Contentons-nous d’observer, en premier lieu, qu’il n’y a pas de système de morale qui ne soit dans la dépendance entière de quelque métaphysique. Nul, pas même Aristippe, n’a pu formuler une doctrine des mœurs, ni proposer aux hommes une règle de conduite, qui ne procédât d’une certaine idée qu’il se faisait de la nature et de la fin de l’homme. On ne peut même pas nous dire : « Agis en toute circonstance, ou selon l’on intérêt, ou selon l’on plaisir, » que ce conseil n’implique une certaine façon déterminée de concevoir la vie, et le sens, et le but de la vie.

Ajoutons, en second lieu, que la question des rapports de la morale avec le dogme religieux, quel qu’il soit, n’est pas tout à fait la même que la question des rapports de la morale avec la métaphysique. En effet, il s’insinue dans les rapports du dogme avec la morale un élément historique ou traditionnel qui vient compliquer singulièrement le problème. Croyez-vous, que pour déterminer exactement les rapports du dogme de l’incarnation avec les applications à la doctrine des mœurs que l’enseignement de l’église en déduit, il suffise de connaître dans l’ordre spéculatif les points précis par où ce dogme pénètre la morale ? Mais il faut savoir encore de quelles nuances successives la définition même du dogme s’est surchargée selon que l’église a dû défendre l’immutabilité du sens orthodoxe contre l’hérésie d’un Arius, ou d’un Nestorius, ou d’un Eutychès. Les bons plaisans, comme d’Alembert, peuvent bien dire ici : « Vous savez que le consubstantiel est le grand mot, l’homoousios

  1. Voltaire, Dictionnaire philosophique, au mot Marie Madeleine.
  2. J’ajouterai que Maury, dont la délicatesse ne passe pas pour être outrée, fait un reproche du même genre au Panégyrique de sainte Agnès.