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vie ; » de vous abstenir « des excès qui vous eussent préparé une fortune religieuse ou une fortune dérangée ; » de sacrifier enfin « quelques plaisirs qui vous auraient bientôt lassé par le dégoût qui les suit[1]. » C’est-à-dire, en bon français, de vous préparer une éternité de bonheur par une vie parfaitement calme elle-même, parfaitement douce, parfaitement heureuse.

À Dieu ne plaise, en vérité, que nous incriminions cette morale, ou que nous affections un seul instant une telle hypocrisie que de la regarder comme insuffisante pour l’usage de la vie ! Ce n’est pas là ce que nous voulons dire. La plus exacte probité, la vertu même s’en accommoderaient, et si chacun de nous pouvait prendre seulement sur soi de sacrifier ses passions à l’intérêt de son repos, beaucoup de choses, qui depuis qu’il y a des hommes en ce monde vont assez mal, iraient mieux, très certainement. Mais comment nous défendrions-nous de comparer cette manière philosophique de Massillon à la manière dialectique de Bourdaloue et à la manière dogmatique de Bossuet ? Et par là se trouvent conciliées, je crois, les deux opinions contradictoires : l’une qui fut, comme on a vu, l’opinion du XVIIIe siècle, où tous les philosophes à l’envi célébrèrent la « tolérance » de Massillon ; l’autre, qui s’est accréditée, de notre temps, où tous les critiques, presque sans exception, ont parlé delà « rigidité » de l’évêque de Clermont.

Sainte-Beuve avait proposé de distinguer deux parts dans la carrière de Massillon, la première toute à la ferveur, la seconde, au contraire, toute à la politesse, au monde, et, comme il dit, « aux divertissemens honnêtes. » Otons ce que les expressions malignes dont se sert Sainte-Beuve insinuent au-delà de l’exacte vérité, : la distinction semblera d’autant plus juste que ce fut dans les dernières années de son épiscopat que Massillon, dans : sa maison de Beauregard, mit la dernière main à ses Sermons. Or, il suffit de comparer ceux qui déjà figuraient dans l’édition de 1705 pour voir qu’il les a remaniés dans le sens de la recherche de l’expression, de la richesse de l’image et de la beauté de l’harmonie. Ne peut-on pas supposer que c’est alors aussi qu’il aura tempéré par les adoucissemens que l’on vient de voir la première verdeur de sa prédication janséniste ? Il nous restera cependant permis de croire que, s’il y a quelque traces d’incertitude et parfois d’hésitation dans la morale de Massillon, c’est surtout qu’il a voulu prêcher un peu trop d’après lui-même. En ce sens, il ne serait pas le dernier des grands sermonnaires du XVIIIe siècle, il serait plutôt le premier des prédicateurs du XVIIIe ; le premier dans l’ordre des dates, le seul par le talent. Forme et

  1. Sur la vérité d’un avenir.