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passion et une puissance ; il faut convenir qu’aujourd’hui il est tombé en langueur. C’est une grande différence entre ce temps et le nôtre. Le petit royaume hellénique n’a pas réalisé toutes les espérances qu’on fondait sur lui, ses destinées n’ont pas répondu à l’attente universelle, et l’intérêt si vif qu’on lui portait s’est refroidi par degrés. En 1834, Prokesch fut envoyé comme ministre à Athènes, où il demeura quatorze ans. Il y apprit à rendre plus de justice aux Grecs, qu’il avait trop méconnus ; mais il jugeait leur gouvernement avec une extrême sévérité. Le 12 décembre 1841 le prince de Metternich lui écrivait : « Athènes est un vrai cloaque politique, où les élémens les plus divers sont dans une fermentation continuelle. De ces élémens, les uns sont indigènes, les autres ont été apportés du dehors. On a créé un état, mais on a oublié de faire son éducation, et comme il arrive toujours, les précepteurs se sont présentés en foule. Détestable est la soupe que plusieurs cuisiniers se chargent de saler. » Il ajoutait trois ans plus tard : « La boutique grecque n’est qu’une dangereuse ordure : Die ganze gnechische Boutique ist ein hœchst gefährlicher Quark. » Dans le fond, Prokesch était de son avis ; mais il estimait qu’il ne fallait pas s’en prendre aux Grecs, qu’en bonne justice il convenait de rejeter la faute sur l’Europe.

On avait fait les choses à moitié, pensait-il ; on avait créé une Grèce indépendante, et on lui avait mesquinement marchandé le territoire et l’étoffe. On l’avait faite assez grande pour être ambitieuse, trop petite pour qu’elle pût se suffire ; elle était à la gêne dans ses frontières trop étroites. Ce n’était pas tout, on lui avait imposé un gouvernement qui contrariait ses penchans, ses aptitudes naturelles, on avait cru faire son bonheur en la mariant à un prince bavarois, et ce mariage était fort mal assorti. C’était aussi l’opinion de Gentz ; bien qu’il eût peu de goût pour les républiques et les républicains, dès le 29 janvier 1830, il s’était exprimé de la sorte : « Je trouve non-seulement pitoyable, mais parfaitement ridicule qu’on veuille nommer un prince allemand roi de Grèce. Je pourrais écrire un volume sur tout ce qu’il y a d’absurde dans cette belle conception. A quoi bon un prince ? à quoi bon un souverain ? Par sa situation géographique, par sa conformation physique, par le caractère de ses habitans, par sa pauvreté présente comme par tous ses antécédens, la Grèce est faite pour vivre en république. Je lui souhaite une constitution semblable à celle de la Suisse, à cela près qu’on lui donnerait un président muni de pouvoirs très étendus. Si ce président était un Maurocordato ou un Tricoupi, il ne me resterait plus rien à désirer. » Mais on craignait qu’un gouvernement républicain ne laissât le champ libre aux intrigues de la Russie, on craignait surtout que le président ne fût ce Capodistria que Prokesch définissait « le bas empire en uniforme russe, » et on dota la Grèce d’une constitution