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c’était un Breton amoureux à la fois de son pays et du beau intellectuel ; l’artiste et le Celte se combattaient en lui, et sa poésie garde la trace de cette lutte douloureuse. A Paris et en Italie, où il errait tourmenté par le démon de l’art, il s’en voulait de vivre exilé bien loin « du doux parfum de la lande. » Le son d’une cornemuse, la voix d’un conscrit chantant un gwerz cornouaillais, lui remettaient son pays devant les yeux,

Et sa paroisse assise au creux d’une vallée
Passait magiquement devant lui déroulée.


C’est cette nostalgie de la lande qui est au fond de sa mélancolie imprégnée de tendresse. La senteur du terroir, l’odeur de la mer et des forêts de chênes, le, prennent à la gorge, et il chante avec des larmes dans la voix :

…….. O pays, notre amour !
Des bois sont au milieu, la mer est alentour.


Et nous y voici dans son sauvage pays d’Ar-Mor. Nous allons voir ses manoirs solitaires, ses hameaux couverts d’ombre auprès des champs de blé noir, et nous allons chanter comme lui : la terre où rien ne meurt !


1er septembre.

Douarnenez. — Une longue rue en pente, mal pavée, bordée de boutiques obscures et de logis aux façades noircies. Elle va toujours en se rétrécissant jusqu’à l’embouchure de la rivière de Poul-Davit et forme comme l’épine dorsale de cette petite ville maritime de douze mille âmes. Une place ornée d’une fontaine, où stationnent des groupes de marins, de servantes et de paysans, coupe cette grande rue par le milieu, puis, à droite et à gauche, plus entre-croisées et plus serrées que les mailles d’un filet, s’enlacent des ruelles exhalant une pénétrante odeur de poisson gâté et de rogue (appât pour la sardine).

Tristan commence à froncer le sourcil et à me regarder de travers en murmurant ironiquement le nom de Roscoff. Je l’entraîne violemment vers la jetée, où la rue se termine. Un brouillard épais plane sur la mer et nous empêche de voir même le village de Tréboul, situé en face. Resserrée entre la rivière et le fond de la baie la ville est bâtie sur un promontoire et entourée d’une ceinture de falaises dans lesquelles la mer a creusé de place en place de petites criques, où la vague vient mourir sur une plage de sable. Du haut