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mois de mai. De juin à décembre, près de huit cents bateaux s’y livrent à la pêche, et, quand la saison est bonne, y prennent chaque jour des millions de poissons. A l’heure du départ, le port de Rôs-Meur présente une animation curieuse. Par les nombreux escaliers qui descendent sur le quai, les pêcheurs arrivent portant leurs paniers et leurs capuchons de cotonnade jaune huilée. Les femmes, tricotant leur bas ou maniant leur crochet, les accompagnent jusqu’au talus. De larges chaloupes, où un homme, debout à l’arrière, godille vigoureusement, transportent chaque équipage à son bateau. Les provisions, les filets et les appâts sont déposés au fond de l’embarcation, et en quelques minutes chacun est à son poste. L’équipage se compose du patron, de deux rameurs, de deux ou trois pêcheurs et d’un mousse. Les poulies grincent, la voile monte le long du mât ; une à une, les barques doublent rapidement le fanal de la jetée, et les voiles tendues palpitent au vent ; puis on les voit s’éparpiller dans les eaux de la baie, tantôt inclinées sous la brise, tantôt coupant les vagues en droite ligne ; une heure après, toute la flottille n’apparaît plus au loin que comme un vol d’hirondelles de mer.

Pendant la pêche, on rame doucement et on garde un profond silence ; placé à la barre, le patron appâte à droite et à gauche du long filet qui traîne à l’arrière. L’appât, connu sous le nom de rogue, est composé d’œufs de morue délayés avec de l’eau de mer. La sardine nageant à fleur d’eau se jette sur la rogue, et des bandes entières de poissons s’engagent ainsi dans le filet, où l’on voit scintiller leurs écailles d’argent. Elles se maillent plus ou moins vite, selon qu’elles sont plus ou moins troublées par les marsouins qui leur donnent la chasse. Quand le filet disparaît sous sa charge pesante, le patron fait virer la barque, deux hommes saisissant la seine, l’enlèvent et la secouent adroitement ; le poisson tombe ainsi au fond du bateau sans qu’il soit nécessaire d’y toucher, condition indispensable de la bonne conservation de la sardine. — Vers l’heure de la rentrée des barques, les fritureries, éparses sur les rochers qui dominent la baie guettent le retour. Celles où l’on manque de sardines hissent un drapeau au sommet de leur façade ; c’est un signal qui se voit de loin et auquel les patrons peuvent répondre sur-le-champ par d’autres signaux connus. L’offre et la demande se transmettent ainsi à travers la baie, et avant qu’on rentre au port, plus d’un marché est déjà conclu.

Cette année, la sardine n’a pas donné, et la gaîté de Douarnenez s’en ressent. Plusieurs fritureries sont fermées ; tout le jour, de nombreux groupes de marins vaguent oisifs sur les dalles du quai ou au beau milieu de la place de la Fontaine ; les sardinières passent leur journée assises ou debout au creux des rochers, occupant leurs