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haute et large pour les voitures, l’autre étroite et plus basse pour les piétons. Une frêle colonnette de pierre, feuillagée et fleurie, sépare les deux ouvertures et se termine elle-même par un trèfle flamboyant.

Au seuil de la petite porte, nous sommes accueillis par le sourire lumineux de la Payse, qui nous présente à la maîtresse du logis. Celle-ci, vêtue de noir (elle est veuve), nous salue d’un sourire grave et nous souhaite la bienvenue. Elle a passé la cinquantaine, et voilà plus de vingt ans qu’elle n’a guère quitté Kervenargan que pour aller à Pont-Croix ou à Douarnenez. Aussi a-t-elle l’allure timide et un peu sauvage des gens qui ont vécu dans la solitude ; mais cette timidité est mêlée d’une distinction naturelle et d’une bonne grâce charmante, Ses yeux intelligens et pleins de feu ont dû être fort beaux ; elle a de grands traits accentués, une bouche très fine et des gestes un peu virils.

La cour carrée où nous entrons est bordée de deux côtés par deux corps de logis en équerre ; l’un vient s’appuyer au mur de clôture ; l’autre se prolonge jusqu’au jardin, dont la grille de bois, enchevêtrée de plantes grimpantes, forme le quatrième côté du carré. Les fenêtres et les portes de l’habitation donnent toutes sur cette cour, de sorte que, vu du dehors, le manoir, avec ses tourelles et de rares lucarnes ouvrant sur les bois, a quelque chose d’un château-fort. Rien de plus gai et de plus hospitalier que l’aspect de la cour, où vaguent des poules, et des deux corps de bâtiment, où des rosiers et des pieds de vigne grimpent jusqu’au toit et s’entortillent aux meneaux sculptés des fenêtres. L’intérieur du logis est simple et cordial comme la propriétaire elle-même : un vestibule orné de larges armoires de chêne, des murs blanchis à la chaux, un salon sobrement meublé de vieux meubles du siècle dernier ; une salle à manger décorée de ces jolis buffets à clous et à ferrures de cuivre jaune qu’on fabrique à Pont-Croix ; une vaste cuisine avec ses vaisselliers rustiques et sa cheminée profonde, aux landiers trapus. Un escalier de bois à rampe de chêne conduit au premier étage, et tout en gravissant les marches délabrées, je songe au temps où Barbaroux, avec sa haute taille et sa fière tournure, Pétion avec sa barbe et ses cheveux blanchis avant l’âge, montaient ou descendaient d’un pas inquiet ces mêmes marches qui criaient sous leurs pieds. — Au premier, notre hôtesse nous montre une étroite pièce en contre-bas, prenant jour sur les bois par une étroite meurtrière, et où, dans son enfance, on l’enfermait, elle et sa sœur, avec une leçon à apprendre. Elles avaient surnommé cet obscur réduit l’enfer, et c’est probablement dans cet enfer que les girondins se cachaient pendant de longues heures, tandis qu’en bas, pour déjouer les soupçons, leur protecteur faisait