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boire les gendarmes du district, ou danser les belles dames de Douarnenez.

De la maison nous gagnons le jardin, à travers un clos planté de pommiers moussus. Ce jardin, ceint de hauts murs et protégé contre les vents de mer par les bâtimens du manoir, n’est qu’un fouillis à demi sauvage, mais quel délicieux fouillis ! — Dessiné à l’ancienne mode, avec des allées droites qui le partagent en quatre carrés bordés de buis, un cadran solaire au centre et une charmille centenaire dans le fond, il est plein de plantes de toutes provenances, plantes rares ou communes, aristocratiques ou plébéiennes, exotiques ou vivaces. — Sur ces côtes humides où il ne neige presque jamais, l’hiver est très doux et, pour peu qu’ils soient protégés contre le vent d’ouest, les arbustes les plus délicats croissent en pleine terre. — Là, tout pousse à la bonne aventure : sarriettes et jasmins, pieds-d’alouette et amaryllis, magnolias et lauriers, fenouils et camélias ; poiriers en quenouille chargés de lichen, et vignes échevelées. — La dame du logis nous montre tous les trésors de son parterre, nommant au passage chaque fleur rare ou vulgaire, nous expliquant leurs vertus, et nous offrant gracieusement des échantillons des plus curieuses. Un doux soleil éclaire ce plantureux coin de terre, et, avec les odeurs attiédies des roses et des citronnelles, une paix profonde, une quiétude assoupissante monte vers nous et nous enveloppe. Quelle impression d’accalmie et d’oubli cet enclos épanoui devait produire sur les girondins qui avaient encore dans les oreilles le fracas des batailles de la convention, la voix tonitruante de Danton, les clameurs des tribunes, quand ils se promenaient par une après-midi d’automne le long de ces charmilles d’où ils n’entendaient plus que la musique du vent dans les pins et la voix lointaine de la mer !

La mer, nous désirions la revoir, et, après une rapide collation, notre hôtesse a voulu nous conduire elle-même jusqu’à la grève, à travers des bois de chênes verts et de pins maritimes.

Elle avait chaussé de fortes bottes d’homme, coiffé un chapeau de paille noire à grands bords, jeté sur ses épaules une pèlerine noire, et, ainsi accoutrée, un parapluie sous le bras en guise d’ombrelle, elle avait à une certaine distance l’air d’un curé de campagne qui s’en va à une conférence. En avant, marchait un grand Breton en veste bleue et en braies, la figure rasée, les cheveux flottans. Il nous servait de guide à travers la lande et portait gravement dans ses bras, avec de paternelles précautions, l’enfant d’une parente de notre hôtesse.

— Cet homme, qui s’appelle Tanguy, nous murmure la Payse, est un domaniou, c’est-à-dire qu’il possède la long bail une métairie dépendant du domaine de Kervenargan. Il était d’abord