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tombeaux de la douzième dynastie, et le chapitre VIe du Livre des morts, qu’elles portent gravé sur leur corps, est un de ceux qui paraissent les plus anciens aux critiques modernes ; or, on sait que ceux-ci inclinent maintenant à croire que ce rituel remonte, au moins par ses parties essentielles, jusqu’à la période memphite.

Ces figurines sont de dimensions et de matières diverses ; elles ne dépassent pas d’ordinaire 0m,20 ou 0m,30, mais on en possède quelques-unes qui ont près de 1 mètre. Il y en a en bois, en pierre calcaire et même en granit ; mais d’ordinaire elles sont faites de cette terre cuite, recouverte d’un émail vert ou bleu, que l’on désigne souvent par le terme inexact de porcelaine égyptienne. Leur aspect est celui de la momie ; de leurs mains croisées sur la poitrine, elles tiennent des instrumens d’agriculture, boyaux et sarcloirs, et un sac destinera contenir des graines pend sur leur épaule. Le sens de cet outillage nous aurait déjà été indiqué par la connaissance que nous avons de la manière dont l’Égypte se représentait l’autre vie ; il est d’ailleurs expliqué par le tableau du chapitre XC du rituel, où l’on voit le défunt labourant, semant et moissonnant dans les champs de l’autre monde. Ces statuettes sont censées être le portrait du mort dont le nom y est inscrit ; la ressemblance individuelle, négligée dans la plupart d’entre elles à cause de la rapidité d’une fabrication tout industrielle, est sensible dans les plus soignées. Le texte du rituel et d’autres monumens les désignent sous le nom d’oushebti ou répondantes (du verbe ousheb, répondre). Il est donc aisé de définir le rôle que leur attribuait l’imagination populaire ; elles répondaient à l’appel du nom qui y est tracé, et elles se substituaient au défunt pour cultiver à sa place le Bol des régions souterraines[1] ; elles concouraient, avec les serviteurs peints et ciselés sur les murs, à lui épargner des fatigues et à le mettre à l’abri du besoin. C’est une autre traduction de la même idée ; dans son désir de prendre toutes ses sûretés contre l’abandon, contre la misère et contre l’anéantissement final, jamais l’homme ne croyait avoir assez fait pour meubler, pour approvisionner et pour peupler sa tombe.

On sent tous les mérites de ces combinaisons ingénieuses. Les alimens en nature ne se conservaient pas ; la négligence des vivans, l’extinction d’une famille, le manque de foi d’un prêtre pouvaient priver le mort de sa nourriture et le faire ainsi souffrir, le faire

  1. Pietschmann (der Ægyptische Fetischdienst, etc., p. 155) a très bien saisi le caractère de ces figurines. Cf. Pierret, Dictionnaire d’archéologie égyptienne, v, 5. Voir encore, sur la personnalité que l’on prêtait à ces figurines et sur les services qu’on en attendait, une note de Maspero sur une tablette appartenant à M. Rogers (Recueil de travaux relatifs, etc., t. II, p. 12)